
forts, j ’attendais avec impatience qu’une brise favorable nous
permît de reprendre la mer.
Enfin le vent souffla du nord, et le 27 février, nous quittâmes
1 ancienne colonie portugaise; nous passâmes, sans éprouver
cette fois aucune crainte, devant le Salamah et ses fils, puis, Naviguant
avec lenteur sous les rochers du cap Mesandum, — qui
me rappelaient les colonnades de la grotte de Fingal, — nous arrivâmes
le lendemain matin à une petite crique dont l’entrée
est tellement étroite qu’elle lui donne au premier coup d’oeil
l’apparence d’un lac situé sur le rivage. Au fond de la baie, nous
aperçûmes le village de Roubah, qui appartient à la province
montagneuse de Rous-el-Djebal.
Notre capitaine avait jeté l’ancre en cet endroit pour se procurer
une cargaison de metouts, mais il lui fut impossible d’en
trouver, de sorte qu’après avoir passé une heure à terre, nous
partîmes pour nous rendre à Leymah, l’une des bourgades les
plus populeuses du Rous-el-Djebal. Au delà commence le district
de Kalhat ou Kalhout, nom qui figure sur la plupart des cartes
au sud-est de Mascate, près du Ras-el-Hadd. Mes explorations ne
se sont pas étendues à cette partie de l’Oman, je suppose qu’il y
existe une ville ou un village ainsi appelé, mais le seul Kalhat
dont j aie entendu parler pendant mon séjour en Arabie est la
province qui s’étend depuis le cap Leymah jusqu’au Ratinah.
La nuit était venue quand nous entrâmes dans la baie, nous
amarrâmes près d une saillie de la côte formée par des rochers,
afin d attendre que le lever du soleil nous permît de gagner la
terre. Vers minuit, une rafale violente faillit rompre le câble,
et le navire, chassant sur son ancre, se précipita vers les rochers
avant que les marins, réveillés en sursaut, eussent pu exécuter
les manoeuvres nécessaires. Notre mât de beaupré alla frapper
les pics aigus et vola en éclats; un moment de plus, la'quille
allait partager le même sort; heureusement, le capitaine avait
repris assez de sang-froid pour nous tirer de cette situation périlleuse
; il nous conduisit sains et saufs dans la baie intérieure,
ou notre vaisseau trouva un abri plus sûr.
Le lendemain, l’aube nous montrait un des paysages les plus
pittoresques que j’aie jamais vus. Derrière la plage couverte de
galets s’étendait une longue vallée boisée qui se perdait dans les
gorges profondes des montagnes; à droite, le village de Leymah
étageait ses longues rangées de maisons sur le revers de la montagne,
comme maint hameau que j ’avais parcouru pendant les
jours heureux de mon enfance dans le canton du Tessin, ou,
plus tard, sur les pentes du Liban. Les habitations de Leymah,
construites en pierre, surmontées par des terrasses et entourées
de jardins enclos de murs, ont presque toutes un aspect riant et
confortable. A en juger par le nombre des maisons, on peut
évaluer la population à deux mille âmes. Plus loin, des chèvres
semblaient suspendues sur le bord des montagnes, et des bergers
erraient au milieu du troupeau; dans la vallée, des bandes de
femmes couvertes de vêtements bleus se rendaient aux puits
voisins; des bateaux grands et petits quittaient le rivage afin
de courir les chances de la pêche; et enfin, — spectacle charmant
pour notre capitaine et son équipage, — des piles entières
de metouts frais brillaient sur les galets, tandis que plus loin,
ces poissons étaient étalés sur les rochers pour sécher au soleil.
Nous descendîmes tous sur la plage, et nos matelots entamèrent
un marché pour les anchois d’Orient, tandis que Zeyd,
Yousef et moi,'nous parcourions la vallée, où une abondante
végétation de caractère mixte, — chênes, palmiers, lotus, acacias,
moksahs (arbres chargés de baies rondes qui fournissent
une sorte de glu fort estimée par les oiseleurs), — contrastait
avec la nudité de Ras-el-Kheymah et d’Ormuz. Les habitants que
nous rencontrions, bergers ou pêcheurs pour la plupart, avaient
une physionomie franche et cordiale; j ’engageai avec quelques-
uns d’entre eux la conversation sur les Anglais, dont ils pouvaient
apercevoir au loin lès navires et les bateaux à vapeur. Mais il
arrive souvent que les questionneurs, comme les écouteurs,
n’entendent pas dire de bien d’eux-mêmes; c’est ce qui eut lieu.
Les avantages du commerce, les bienfaits de la civilisation, une
protection puissante, ne ,sauraient faire contre-poids à l’antipathie
nationale, accrue par la crainte des envahissements européens,
— crainte que justifient, à vrai dire, la conquête de
l’Hindoustan, l’invasion du Pundjab, les guerres delà Chine et
plusieurs autres dans lesquelles s’est réalisée la fable du Pot de
terfe et du pot de fer.
Les événements que. nous venons de rappeler ne sont pas
ignorés des Omanites ; ils ont eu pour résultat de leur inspirer
un respect salutaire, mais ils n’étaient pas de nature à faire