
ciments; de la même façon, ni plus ni moins, j ’entends qu’Allah
me donnera la somme qui m’est due; vous serez en cela son
instrument passif, et, quand vous m’aurez payé, je vous devrai
tout aussi peu de reconnaissance. » Chacun de rire alors et de
faire pleuvoir les quolibets sur le renard pris au piège, dont la
confusion fut extrême. Il sortit en promettant de me satisfaire
bientôt, et avant le coucher du soleil il envoyait son jeune
frère nous apporter le prix convenu, afin de se mettre à 1 abri
de nouveaux sarcasmes ; mais il ne franchit plus désormais le
seuil de notre maison, ce qui nous laissa fort peu de regrets.
J’eus occasion d’étudier la classe lettrée sous un jour beaucoup
plus avantageux dans la personne d’un troisième malade,
Abder-Rahman, metowa ou chapelain du palais. Depuis plusieurs
années il était sujet à de violentes névralgies; une crise
aiguë le retenait en ce moment dans sa chambre et l’empêchait
de vaquer à son ministère. Djowhar, qui éprouvait déjà une
amélioration notable, avait fait un pompeux éloge de son docteur
;e t, suivant son conseil, le metowa me fit mander avec les
plus vives instances.
Ses appartements, situés en face de ceux du premier ministre
Mahboub, étaient spacieux, élégamment meublés et contenaient,
entre autres objets, quarante volumes environ, imprimés ou
manuscrits, ce qui forme en Arabie une très-belle bibliothèque.
En dépit de ses souffrances, il employa la plus élégante phraséologie
pour me faire connaître son mal; et quand, au
bout de deux ou trois jours, un traitement convenable l’eut
délivré de ses tortures, il devint pour moi une précieuse relation.
J’appris de lui d’intéressantes particularités sur l’histoire
de Moseylemah, des Wahabites, de 1 ancien état religieux
duNedjed; j ’ai déjà reproduit quelques-uns de ces détails dans
le cours de mon récit, les autres viendront plus tard. Le digne
chapelain savait même par coeur plusieurs chapitres du Coran
burlesque de Moseylemah, et il les débitait avec un sentiment
très-juste de leur esprit sarcastique. Chez lui, comme dans un
centre commun, se réunissaient les étudiants dont j ai déjà
parlé ; ils discutaient devant moi des questions de morale ou
des points de doctrine, car Adber-Rahman n’était pas seulement
un homme instruit, mais un aimable et charmant causeur ; il attirait
ainsi autour de lui ces pâles et frêles jeunes gens qui le
regardaient comme leur guide et leur maître.
Un matin que j’étais assis à côté du metowa sur le belal, grossier
tapis nedjéen, et que nous nous entretenions avec les hôtes du
palais, la conversation tomba sur Sham ou Damas ; toutes les
personnes présentes se mirent alors, par un sentiment de politesse,
à faire l’éloge de ce qu’elles croyaient être ma ville natale,
en rappelant la visite que Mahomet aurait faite a cette
ville. D’après cette légende, le Prophète, — puisse Dieu lui prodiguer
ses bénédictions! — avait le projet d’entrer dans la capitale
de la Syrie, et il descendait de son chameau près de la
porte méridionale; au moment où l’un de ses pieds bénis touche
la terre et où l’autre va le suivre, l’ange Gabriel apparaît
pour lui apprendre qu’Allah lui laisse le choix entre le paradis
de cette terre et celui de l’éternité ; s’il persiste à entrer dans
Damas, il doit renoncer aux jardins et aux houris du ciel.
Là-dessus le Prophète abandonna sagement son dessein ; préférant
les joies intarissables de l’autre vie aux bosquets, aux
eaux de la Barada, il remonta en selle et retourna en Arabie.
Cependant, pour la confusion des sceptiques et des infidèles,
la trace du pied prophétique qui s’était déjà posé sur le sol
rocheux, y demeura ineffaçablement imprimée, et j’eus moi-
même le bonheur de la contempler dans la jolie petite mosquée
commémorative de la vision, près de la porte de la ville, sur la
route d’Hauran. Quelques personnes, il est vrai, prétendent que
l’empreinte appartient non pas à Mahomet, mais à 1 ange
Gabriel, qui ayant pris la forme humaine, et doué pourtant
d’une légèreté angélique, se tenait suspendu sur un pied. Je
n’ai garde de vouloir décider une aussi grave question de controverse;
je laisse mes lecteurs libres d’opter pour la version
qui leur paraîtra la plus vraisemblable.
Quoi qu’il en soit, cette histoire forme un article de foi parmi les
mahométans, et elle fut alors récitée pour la millième fois comme
un compliment à l’adresse des prétendus Showam ou habitants de
Damas. Mais Abdel-Hami d, le Pesh awe rite, dont j ’ ai déj à parlé, était
présent et il ne put garder le silence. Outre sa j alousie malveill ante
contre nous, il se glorifiait d’être originaire du beau pays de
■Cachemire, et avait grandi au milieu d’une végétation bien plus
riche et plus séduisante que les jardins de Damas, sur les bords