
Puis vient un inextricable labyrinthe de chambres, de galeries,
de couloirs; ici, nous rencontrons un escalier en ruines, plus
loin une porte qui n’aboutit à rien. Les fenêtres sont garnies
d’un délicat treillis de pierre dont les dessins variés témoignent
beaucoup d’imagination et de goût. Une salle du rez-de-chaussée,
voisine du khawah, semble avoir été destinée aux audiences
publiques ; elle est soutenue par des piliers et conserve encore
quelques vestiges de bas-reliefs, semblables à ceux qui ornent
les maisons de Bagdad. Cette partie de l’édifice a été convertie
en mosquée wahabite et impitoyablement défigurée. * Ceux qui
ont élevé ce palais, me dit Barakat, étaient assurément plus civilisés
que ses hôtes actuels. » Cette remarque, hélas! n’est pas
seulement applicable au Katif; on pourrait l’étendre à toutes les
provinces comprises entre le Tigre et le Danube.
Par une anomalie singulière, si l’arcade est fréquemment employée
dans l’Hasa, il n’en est pas de même de la voûte ; on ne
la connaît, comme aujourd’hui, que sous sa forme la plus simple,
celle de berceau. Pour la première fois depuis mon départ de
Gaza, je retrouvais à Katif la voûte d’arête qui marque un progrès
remarquable dans la science architectonique, et que je devais
plus tard rencontrer fréquemment dans les îles Bahraïn,
dans l’Oman et sur les côtes du golfe Persique. Ces deux derniers
pays attestent un nouveau progrès par la fréquence de la coupole
ou du dôme, formé de rangées concentriques de pierres ou
de briques et qui accuse l’influence de l’art étranger. Car, laissés
à leurs propres inspirations, les Arabes ne paraissent pas avoir
été assez habiles pour élever une simple arcade, moins encore
une voûte ou un dôme; les édifices anciens et modernes du
Shomer, du Kasim et du Nedjed, fournissent d’amples preuves
de leur ignorance. Mais quand ils se furent instruits par la vue
des monuments grecs ou persans, ils imitèrent ces modèles, et,
sans devenir jamais des architectes de premier ordre, ils prirent
dans l’art un rang honorable. Les ruines de construction himya-
rite conservées dans l’Hadramaut, celles de Nakab-el-Hadjjar,
par exemple, appartiennent à une race différente, l’abyssinienne,
comme nous le verrons dans le chapitre suivant.
On nous introduisit dans le khawah, où nous nous assîmes
devant un feu clair de bois de palmier qui fit disparaître l’humidité
glaciale de ces vieilles ruines. Le mobilier était assez bon et
le café excellent. Farhat revint alors, et nous entamâmes une
conversation animée sur Riad, Feysul, Abdallah. Nos observations,
on le devine sans peine, furent favorables, et nous présentâmes
toutes choses sous cette teinte couleur de rose {sic), qui est
si fort appréciée par les hautes autorités de la politique et de la
diplomatie. Près de nous se trouvaient aussi une vingtaine de
Nedjéens, appartenant à la garnison du fort qui se monte en tout
à deux Cent cinquante ou soixante hommes; à l’autre extrémité
du khawah étaient assis en silence quelques habitants de la
ville, vêtus de la veste persane, et coiffés d’énormes turbans;
mais il y avait peu de sympathie entre eux et les Arabes des
montagnes. Deux ou trois patrons, propriétaires des smacks du
port, parlaient bruyamment et riaient aux éclats, avec le sans-
gêne de ieur profession. Le bout de la salle était occupé par des
serviteurs noirs et blancs.
On nous servit un bon souper composé de viande et de poisson;
après le café, Farhat nous dit avec un raffinement de politesse
dont nous fûmes tant soit peu surpris, que notre bagage
avait déjà été porté dans une chambre haute préparée pour nous
recevoir, et qu’étant fatigués, nous éprouvions peut-être le
désir de nous y rendre. Il eut même la délicate prévenance d ;
nous éclairer pendant que nous montions l’escalier, précaution
qui n’était nullement superflue, eu égard au délabrement des
marches.
Mes lecteurs s’étonneront sans doute, comme nous, d’un tel
excès de courtoisie de la part d’un si grand personnage. Mais
rien sur la terre n’arrive sans cause, et, dans le cas présent, il y
en avait une très-puissante. Djowhar, mon ancien malade, avait
quitté Riad pour se rendre aux îles Bahraïn longtemps avant
notre départ de l’Ared et lorsque nous étions encore en pleine
faveur à la cour. Reçu dans le Katif avec tous les honneurs dus
à un grand trésorier, il avait donné à Farhat, son confrère nègre,
une opinion si favorable sur notre compte, qu’à notre arrivée
nous trouvâmes le gouverneur dans les meilleures dispositions. Il
s’occupa de nous rendre le service le plus grand qui fût en son
pouvoir, en s’enquérant le soir même des navires ou bateaux
qui devaient faire voile sous peu pour les îles Bahraïn, et il nous
promit que nous aurions place dans le premier vaisseau en partance.
« Cependant, ajouta-t-il, si je ne consultais que mes désirs,