
La polygamie, bien qu’elle soit assez commune, n’est pas autorisée
dans l’Oman comme dans les autres contrées musulmanes,
car l’habitant de cette province ne peut donner qu’à une seule
femme le titre d’épouse légitime. Les lois qui règlent les héritages
sont aussi fort différentes de celles du Coran; les femmes
partagent avec leurs frères les biens paternels, tandis que
Mahomet ne leur donne droit qu’à une faible portion. Enfin
elles vivent avec les hommes sur un pied d’égalité inconnu
ailleurs. Elles ne sont pas contraintes à se couvrir du voile
islamite, ce qui est un avantage réel, puisqu’elles l’emportent
sur toutes les femmes de la Péninsule, peut-être même de 1 Asie
entière, pour la grâce des formes et la régularité du visage. Les
adorateurs de Ja beauté classique, ceux qui aiment à contempler
de grands yeux noirs, des contours dont la pureté rappelle
la statuaire antique, une démarche noble et gracieuse, trouveront
ici, bien mieux qu’au Nedjed, en Syrie, en Egypte où en
Perse, des idoles dignes de leur culte. Les hommes, quoiqu’ils
n’aient pas en apparence une grande vigueur et que leur teint
soit très-bronzé, ont le regard intelligent, l’allure vive, les
traits beaux et expressifs. J’ajouterai que personne ne se cache
pour boire du vin, et que l’on cultive la vigne sur les pentes
du Djebel Akhdar.
Si j ’avais été plus familier à cette époque avec les auteurs
arabes, je n’aurais pas été surpris des fréquentes questions qui
m’étaient adressées dans l’Oman au sujet des Pyramides d’É-
gypte, objets autrefois de la vénération sabéenne. Peut-être
aussi aurais-je obtenu des habitants quelques informations intéressantes
sur le mystérieux livre de Seth, informations que
la brièveté de mon séjour ne me permit pas de prendre. Le
temps me manquait, j ’étais obligé de circonscrire mon exploration
et par là même mes moyens de renseignements, la prudence
ordinaire aux 'dissidents orientaux, les. empêchant de
confier à un étranger dont ils ignorent le caractère, le secret
de leur culte et de leurs croyances véritables, moins encore de
mettre entre ses mains un code religieux qui diffère du Coran.
Cette crainte agit peu sur les Bédouins, que le désert protège
contre l’intolérance musulmane, mais elle exerce une grande action
dans l’Oman qui, grâce à sa situation maritime, entretient
des relations fréquentes avec les sunnites, les shiites et les
wahabites. Les habitants se croient obligés de se couvrir d’un
vernis mahométan, et les biadites, héritiers des Sabéens et des
Carmathes, disciples de Mokanna et d’Abou-Tahir, passent aux
yeux des étrangers pour des musulmans orthodoxes. Une observation
plus attentive ne tarde cependant pas à faire découvrir
que ce sont des infidèles, pis encore, des apostats.. Aussi
les musulmans zélés ne parlent-ils jamais des Omanites sans
leur appliquer l’épithète flétrissante de kharidji, nom par lequel
ils désignent les déserteurs de la foi islamite.
Niebuhr, dont la relation savante et fidèle contient une foule
d’intéressants détails sur le royaume d’Oman, est tombé dans
une erreur singulière au sujet des biadites. Pendant son court
séjour à Mascàte, la seule ville qu’il eût visitée^ il se lia probablement
avec quelques marchands nedjéens établis dans ce
port, et jugeant par eux des habitants du pays, il attribua aux
Omanites la ferveur exaltée, les manières graves, la simplicité
austère, la fréquentation assidue des mosquées, l’abstinence
complète de tabac qui forment le caractère distinctif des disciples
d Abdel-Wahab. En réalité, aucun peuple, pas même les
Turcs de Stamboul, ne fait une consommation aussi effrénée que
les bons Omanites de la plante si odieuse aux Nedjéens; elle
forme l’une des principales richesses du sol et donne lieu à
une exportation considérable. Les marchés de Mascate et des
autres villes regorgent de tabac, la pipe se trouve dans toutes
les bouches. Quant aux prières, Mascate possède en effet trois
ou quatre mosquées où les cérémonies wahabites sont régulièrement
accomplies et suivies par de nombreux fidèles nedjéens ;
mais il serait difficile de rencontrer dans ces temples un seul
biadite, et les biadites, non les étrangers qui assistent aux cinq
prières, sont les véritables habitants de Mascate. Enfin l’Oman,
j ’en ai peur, n’a guère plus de titre à se prévaloir de sa simplicité
puritaine que Vienne ou Paris.
Je ferai observer aussi que Niebuhr avait pris le costume
turc et se disait natif de Gonstantinople. Sous un semblable déguisement,
il était sûr de trouver partout des musulmans enthousiastes,
même dans les pays les plus hostiles à l’islamisme.
Aujourd’hui encore, les Druses, lés ismaéliens, les populations
chrétiennes elles-mêmes feignent une soumission complète aüx
dogmes mahométans, dès qu’ils se croient en présence d’un Turc,