
en vagues furieuses, et nous nous vîmes, malgré nos efforts
poussés vers le Salamah; peu s’en fallut que nous ne fission^
une connaissance beaucoup trop intime avec le Père et ses
Fils. Le capitaine avait perdu la tête, Yousef pleurait comme u n '
enfant, Zeyd jetait autour de lui des regards pleins d’anxiété ;
quant a moi, faute de meilleure occupation, je m’installai près
des membrures, et je cherchai à m’endormir. Toute la nuit, nous
fûmes chassés deçà, delà par la tempête, sous un ciel sombre
et sans étoiles, au milieu des vagues qui projetaient des lueurs
sinistres et tourbillonnaient autour du navire. Quand l’aube
perça enfin les nuages, nous étions arrivés en vue de Laredj,
triste îlot bordé de rochers abrupts et à peine habité. Aucun ancrage
sûr ne s’offrant à nous, le capitainé manoeuvra de façon à
gagner Ormuz, que nous apercevions à peu de distance.
Je n’étais pas fâché de visiter une île autrefois si renommée
pour son commerce, et dont les Portugais avaient coutume de
dire que « si le monde était un anneau d’or, Ormuz en serait le
diamant. » Entourée d’une ceinture de rochers escarpés, elle
offre au centre des terrains fertiles couverts de pâturages et de
buissons; en beaucoup d’endroits, les masses basaltiques qui
l’enserrent baignent leur base dans l’Océan, ou s’élèvent comme
de fantastiques tourelles dont les couleurs variées rappellent les
teintes que prend parfois la lave. L’île me paraît être un volcan
éteint. Au nord-ouest, à l’extrémité d’un long promontoire de
forme triangulaire, se dresse un fort construit par les Portugais,
mais digne de figurer parmi les ruines romaines, tant les murs
sont épais, la maçonnerie solide, les briques bien cimentées,
aussi depuis trois siècles résiste-t-il aux efforts des tempêtes.
La plus grande partie du cap est couverte de ruines, qui ont
pris la place d’une ville autrefois prospère ; au milieu de la masse
confuse de décombres, on distingue encore les débris de plusieurs
belles habitations, d’une grande église, de bains. Une tour octogone,
semblable à celle de Shardjah, mais d’une construction
plus gracieuse, s’élève à cent mètres environ de la pointe du
promontoire ; elle est composée de brique et de pierre, un escalier
tournant conduit au sommet, mais les marches en sont brisées
à douze ou quatorze pieds du sol, ce qui empêche d’atteindre à
la partie supérieure sans une échelle, article qu’il est difficile de
se procurer à Ormuz. Les constructions analogues que j ’ai vues
ailleurs, et particulièrement de Bagdad à Kerkouk, me porteraient
à penser que cette tour formait jadis le minaret d’une
mosquée persane, qui plus tard fut convertie en fanal par les
Portugais. Tout près du fort se trouvent une centaine de huttes
habitées par des pêcheurs ou des bergers dont les troupeaux
paissent dans le cratère,; un seul hangar, où des dattes sèches,
des racines et du tabac sont exposés pour la vente, voilà ce qui
reste du commerce d’Ormuz. Sic trdnsit gloria, telle fut la réflexion
banale, mais inévitable, que je fis devant cette terrible
décadence. J ’ai vu lès ruines de Tyr et de Surate, la dégradation
de Goa, mais dans aucun de ces ports je n’ai trouvé de désolation
semblable à celle d’Ormuz.
La raison de sa chute est facile à découvrir. La fortune de
1 île dépendait en partie de ses relations avec l’Inde, en partie
de l’importance momentanée qu’elle avait acquise à l’époque
où les Portugais tenaient un des premiers rangs dans le négoce
et la navigation. Plus tard, le commerce de l’Inde prit la route
de la mer Rouge et de l’Egypte, et le déclin de la puissance portugaise
acheva de ruiner cette colonie, si florissante au seizième
siècle. La prospérité d’Ormuz, en effet, tenait à des circonstances
très-variables. Puissants sur mer, mais incapables de
lutter sur terre avec les gouvernements indigènes, les Portugais
devaient forcément préférer une position insulaire, qui les mettait
en état de défendre plus facilement leurs personnes et leurs
richesses; -le port d’Ormuz leur convenait donc mieux que
ceux de l’ancienne côte persane, tels que Lindja, Bander-Abbas,
Sohar, par lesquels passe maintenant le courant du commerce ;
mieux même que Mascate, où leur existence était assez précaire
et leur action considérablement entravée. Au point de vue militaire
et politique, cette île, placée si près de l’entrée du golfe, et
capable détre aisément fortifiée, avait une valeur particulière.
Mais aujourd hui que la rive persane et la rive arabe appartiennent
au gouvernement qui possède déjà Mascate, Sohar,
Lindja, et vingt autres ports meilleurs et plus avantageusement
situés que celui d Ormuz, ce dernier a perdu son ancienne importance;
sans les mines de sel de la côte .nord-est, où chacun
est libre d extraire les quantités qu’il veut, à la condition de
verser une somme très-légère dans les coffres de l’Oman, Ormuz
serait presque désert. Un chétif gouverneur omanite, avec une