
çant ces paroles, il m’offrait un narghilé d’argent, et me té moignait
tant d’intérêt, tant de bienveillance, que je ne conçus
d’abord contre lui aucun soupçon. L’entretien ne tarda pas à
devenir fort animé ; mon nouvel ami, excité par de copieuses libations
— il avait sur sa table une bouteille d’excellent cognac,
et j ’avoue que je ne refusai pas d’en goûter avec lui — me ra conta
ses aventures d’une manière peut-être plus prolixe que
véridique. « In vino veritas » affirme le proverbe, c’est le contraire
qu’il faudrait souvent dire. Si les renseignements qu’il me
donna sont exacts, Thoweyni a une garde composée de six cents
cavaliers, outre son artillerie dans laquelle il place uqe grande
confiance. Au cas où une guerre éclaterait entre lui et les
Wahabites, il pourrait compter sur l’énergique appui des
chefs du Belad-Sour, du Djaïlan, du Djebel-Akhdar et même du
Batinah, quoique plusieurs villes de cette province aient montré
des dispositions à la révolte. Sa flotte comprend trente vaisseaux
de construction anglaise dont quelques-uns sont armés de
,cinquante canons; en un mot, il serait pour ses voisins aussi
redoutable que son père, s’il s’occupait un peu plus des affaires
de l’État et moins de ses plaisirs.
Après avoir ainsi engagé l’entretien, l’ex-officier turc me fit
d’adroites questions afin de connaître mon histoire, car il devinait
que mon voyage n’avait pas uniquement pour but les recherches
médicales. Mais l’heure avancée, jointe à mon extrême
fatigue, me fournit un prétexte plausible pour me retirer;
mon hôte exprima un vif regret de mon prompt départ, et
ajouta que le lendemain il ne manquerait pas de se présenter à
ma demeure.
Or, je n’ambitionnais nullement l’honneur qu’il voulait me
faire ; ce n ’était pas que j ’éprouvasse la moindre crainte personnelle
; ma qualité d’Anglais ne m’exposait dans l’Oman à
aucun péril; mais le lieutenant de Khalid, le farouche Meteyri,
était encore au palais, mes aventures pouvaient être rapportées
à Bereymah, et arriver de là aux oreilles de Feysul, ce qui eût
mis Abou-Eysa daus une situation fort dangereuse, car on aurait
vu en lui le complice d’un espion européen. En conséquence,
sans expliquer à Yousef mes véritablesmotifs,jeluidisquej’étais
résolu a partir dès le lendemain pour Mascate, où sans doute
nous trouverions l’aide dont nous avions besoin. J’appuyai mon
discours d’une foule de lieux communs sur la folie qu’il y a de
se fier aux promesses des princes, et je parvins sans trop
de peine à convaincre mon compagnon qui, tout étourdi encore
des événements de la nuit, était devenu docile comme un
enfant.
Le lendemain nous cherchâmes à nous procurer une paire de
souliers, car mes pieds nus ne s’accommodaient nullement des
cailloux anguleux qui jonchent le sol dans la plus grande partie
du district de Mascate; mais il nous fut impossible d’en trouver,
et nous partîmes sans chaussures, laissant nos hôtes exécuter
la parade du matin, pendant que Thoweyni dormait probablement
encore. Un paysan du village de Farzah nous montra le
chemin que nous devions suivre pour nous rendre à cette localité.
Traversant la montagne au sud-est, nous longeâmes un
étroit sentier bordé de rochers rougeâtres, au milieu desquels
croissaient des chênes et des acacias. Après une heure de marche,
nous aperçûmes la grande route qui conduit d’un côté à
Farzah, de l’autre à Mascate. Autour de nous se déroulait un
labyrinthe de sauvages collines granitiques ; elles étaient entrecoupées
de vallées verdoyantes, où des maisons entourées de
riants jardins alternaient avec des champs couverts de moissons
déjà presque mûres, car les récoltes se font en avril. Pendant
les mois d’hiver, un large courant traverse le village de
Farzah, mais il était alors presque à sec, et pendant les chaleurs
de l’été, il doit complètement disparaître.
Après quelques instants de repos, nous prîmes la direction de
Mascate, et marchant avec courage en dépit des cailloux qui nous
déchiraient les pieds, nous parvînmes avant midi au château
de Khabb, édifice qui ressemble à une élégante villa plutôt qu’à
une forteresse ; le village est situé tout auprès, dans une vallée
profonde; il est abondamment approvisionné d’eau et entouré
de cultures. Trois ou quatre heures plus tard, nous atteignîmes
le petit hameau de Rian, où la fatigue nous obligea de nous arrêter.
Les villageois nous offrirent un présent fort acceptable
pour des hommes affamés : des tiges de cannes à sucre et un panier
plein des fruits du nabak, qui atteignent ici la grosseur
d’une-pomme. Un morceau de p?in dur, que nous avions eu la
prudence d’emporter en quittant le palais, compléta notre
festin.