
la volonté ont fait place à une complète décrépitude, digne
apanage d’un despote de soixante-dix ans.
Pour compléter l’esquisse d’Abdallah, l’héritier présomptif de
la couronne, nous ajouterons que sa mère (le Livre des Rois, fait
toujours connaître les mères des monarques juifs) appartient
à la famille des Saoud. Le second fils du roi, qui doit le jour à
une femme du clan des Benou-Khalid, ressemble beaucoup plus
à sa mère qu’à son père. Tandis qu’Abdallah est, comme Feysul,
court, replet, qu’il a la tête forte, un cou de taureau, Saoud est
grand, élancé; sa physionomie, agréable et bienveillante, respire
l’insouciance commune aux Bédouins. Franc, généreux, passionné
pour la pompe, l’équitation, il est l’idole du parti libéral,
qui l’a surnommé Abou-hala (littéralement, père de la bienvenue),
à raison du Ya-hala (soyez le bienvenu), avec lequel il a l’habitude
d’accueillir tous ceux qui l’approchent. Abdallah demeure
au contraire le chef du parti orthodoxe qui le regarde comme son
plus ferme défenseur.
Les deux frères, presque du même âge, sont, on le comprend,
ennemis déclarés, et ils ne peuvent même pas se parler sans entrer
en fureur. Feysul â , nommé Saoud gouverneur de l’Yéma-
mah et de l’Harik, afin de l’éloigner de Itiad où réside Abdallah
et de prévenir de trop fréquentes querelles. Les manières affables
de Saoud lui ont gagné les coeurs de tous les Nedjéens qui haïssent
le rigorisme wahabite. Chacun pense que la mort de Feysul
sera le signal d’une lutte acharnée entre le Romulus et le Rémus,
ou, si l’on aime mieux, le don Pedro et le don Henri du Nedjed.
L’orthodoxie de Feysul le porte à favoriser l’aîné de ses fils, et à
tenir le second dans l’ombre. Une fois seulement, lors des troubles
qui éclatèrent dans le üowasir, il nomma Saoud chef des
troupes envoyées contre les rebelles. Mais il se repentit bientôt
de lui avoir donné l'occasion de signaler sa valeur. Saoud, après
une brillante campagne, revint à Riad accompagné de deux cents
hommes d’élite, tous richement vêtus d’un uniforme écarlate,
couverts de broderies d’or, montés sur des chevaux du sang le
plus pur, dans un appareil enfin également offensantpour la bigoterie
et la jalousie d’Abdallah. Saoud fut renvoyé en toute hâte
à Salemyah, d’où cependant nous le verrons bientôt revenir.
Le troisième fils du roi, Mohammed, est né d’une épouse
nedjéenne ; il ressemble beaucoup à son père, et se montre dévoué
à son frère Abdallah, sous la direction duquel il commande
l’expédition dirigée contre Zamil. Le quatrième, Abder-Rahman,
habite encore le harem ; c’est un enfant d’une douzaine d’années
dont les traits massifs donneraient, je le crains, peu d’espérances
à un disciple de Lavater. J’ai parlé de la fille aînée du roi, la
princesse sur le retour qui fait auprès de lui l’office de secrétaire.
Elle est très-belle, je n’en doute pas; mais je n’ai jamais été
assez heureux pour percer le voile noir qui dérobe ses charmes
aux profanes, et lui donne l’aspect peu attrayant d’un monceau
de chiffons.
Avant de raconter les relations que nous eûmes avec plusieurs
membres de la famille royale, il ne sera pas inutile de jeter un
rapide regard sur l’empire wahabite, d’en examiner l’étendue,
d’apprécier quelle est sa situation relativement à ses voisins, à
ses alliés, à ses ennemis. _
Deux éléments bien distincts composent la population du
Nedjed; le premier comprend les purs Wahabites, le second, les
habitants qui le sont devenus par prudence et par soumission.
La première classe domine dansl’Ared, leWoshem,leSedeyr,
l’Afladj, le Dowasir et l’Yémamah.; non que les mécontents y
soient rares, mais ils forment une impuissante minorité. Les
Nedjéens de ces provinces sont pour la plupart sincèrement attachés
à la dynastie des Saoud, quoique par des motifs divers.
L’Ared surtout se distingue par son dévouement envers la famille
royale; l e patriotisme vient ici s’ajouter à la sympathie
religieuse, car les Saoud étaient les chefs respectés du district
avant d’étendre leur domination sur le reste du Nedjed. Les
dispositions belliqueuses des habitants, jointes à leur pauvreté,
rendent d’ailleurs le système actuel fort populaire parmi eux.
Pourtant, même dans ce foyer du wahabisme, il existe des
hommes qui aimeraient à réciter moins de prières et à fumer
plus de tabac. Ils ne souhaitentpas un changement de dynastie,
mais quand la mort de Feysul rendra le trône vacant, ils préféreront
Saoud au farouche Abdallah. Les défenseurs de la stricte
orthodoxie, représentée par le fils aîné du roi, sont néanmoins
en grande majorité dans l’Ared, qui a toujours été la plus importante
province de l’empire.
Le sentiment public est à peu près le même dans l’Yémamah,
mais il revêt une forme plus douce. Là aussi, les habitants pro