
pouvoir n ’est pas populaire ou bien qu’il a énervé la nation. Non
que les moyens de défense doivent être négligés; maintenus
dans de justes bornes, ils sont salutaires et utiles; toutefois un
bâton, pour revenir à notre première métaphore, n’est pas une
jambe de bois ; de même, un voyageur peut bien porter à sa ceinture
une paire de pistolets ; cependant que dirait-on d’un pays
où chacun serait obligé d’avoir des armes auprès de son foyer?
Mais nous sommes également désireux, le lecteur d’arriver
au terme de mes réflexions, et moi de.voir Yousef de retour. Je
l’aperçois enfin, accompagné d’un jeune homme aux formes
épaisses, au nez épaté, à la mine bienveillante, que ses mains
noires et son costume couvert de suie font reconnaître pour un
forgeron. Doeydj (tel est le nom de notre nouvelle connaissance,
dans lequel il est facile de retrouver le Doegdu temps de David)
nous offre, à mon compagnon et à moi, la table et le logement,
et m’invite à venir examiner sa demeure. La maison est bien
située, d’assez belle apparence, elle renferme plusieurs appartements;
près de l’entrée principale est placée la forge, à laquelle
les chantiers de construction navale établis dans le port fournissent
de nombreux travaux.
Doeydj, qui occupe avec ses deux frères cette spacieuse habitation
, paraît fort considéré dans la ville ; il reçoit beaucoup
d’étrangers,-Omanites, Hindous, Beloutchis, mais rarement des
Persans jj car ces derniers se mêlent peu à la population arabe.
Nous passâmes trois jours chez l’honnête forgeron, attendant
que le vent nous permît de nous embarquer pour Shardjah.
Nous n’avions aucune raison de nous faire présenter au gouverneur
Seyf ; Lindja est une ville de commerce, un port de mer,
elle appartient-à ce monde où chacun agit librement pour soi-
même, et ne forme que les relations qui lui plaisent et lui sont
avantageuses. Au Nedjed, cette terre qu’enferme un cercle magique,
dont les habitants depuis des milliers d’années n’ont
rien changé à leurs moeurs et à leurs usages, un étranger ne
saurait entrer dans une ville sans rendre au chef, au gouverneur,
au prince les honneurs dus à son rang, sans recevoir en
retour de ses hommages les présents et l’hospitalité de ces hauts
dignitaires; cette coutume, fort patriarcale, j ’en conviens, ne
facilite nullement les affaires ni les voyages. Une fois sortis de
la Péninsule, nous rentrions dans la vie ordinaire, où chacun
suit son chemin particulier et s’occupe très-peu des autres. Un
Européen qui, sans y être engagé par des motifs sérieux, solliciterait
une audience du gouverneur de Lindja serait à peu près
aussi ridicule qu’un étranger demandant à être présenté au
lord-maire de Londres, uniquement parce qu’il loge dans un
hôtel de Fleet Street.
Lindja est véritablement une ville charmante avec ses blanches
maisons alignées sur le rivage, ou ombragées de gracieux palmiers,
avec ses marchés pleins d’animation, les coupoles brillantes
de ses réservoirs, ses boutiques construites en feuilles de
palmier, ses forges sur lesquelles résonne le marteau, les bateaux
qui remplissent son port, avec son gai soleil et son atmosphère
limpide. Nous employions nos journées à errer par la ville, à
converser avec les marins et les marchands, à visiter les villages
ou plutôt les faubourgs, car la plaine est couverte d’une population
fort nombreuse, eu égard à la rareté de l’eau, rareté dont
il m’est difficile de comprendre la cause, puisque les hautes
montagnes de Perse sont à la distance d’une demi-journée, et
que la saison des pluies dure plusieurs mois. Peut-être les courants
qui coulent des plateaux sont-ils absorbés par le sol sablonneux.
Nous apercevions de la plage les hauteurs de Djishm, qui
dominent la côte vers le sud-est, et au delà, les vagues contours
du cap Mesandum. Souvent aussi nous passions de longues heures
à examiner les marchandises offertes aux acheteurs de la place
du Marché : tapis persans de toutes dimensions et de toutes couleurs,
armes, manteaux et Puniques duKhorassan, verreries et
faïénces d’Europe ou d’Amérique, étoffes anglaises, vêtements,
arabes fabriqués dans l’Hasa et l’Oman, ustensiles en cuivre de
Bagdad, ceintures de Terabolous, riz, indigo, épices, café, fruits
secs, etc. La foule entoure les vendeurs et le bruit de la ruche
humaine montre combien les tentations qui l’entourent ont de
prise sur elle. L’ordre et la sécurité régnent néanmoins dans la
ville; les habitants de la côte ont en général des dispositions
pacifiques, et le gouvernement, bien qu’il soit étranger, a su
gagner les sympathies de la population.
Pendant que nous étions à Lindja, des envoyés persans vinrent
demander l’établissement dans le port d’une douane iranienne ;
le motif qui avait donné lieu à cette ambassade mérite d’être rapporté.
Six mois auparavant, le gouverneur de Shiraz avait ré