
à Abder-Rahman le Wahabite. Des gardes furent placés autour
du jardin et les pieux courtisans commencèrent à croire que,
grâce à l’éloignement de cette retraite, à l’épaisseur de ses feuil-
lages, à la pure orthodoxie de son propriétaire, aux sabres nus
des nègres, Feysul échapperait à la souillure du polythéisme,
au péril de l’assassinat, des sortilèges et du mauvais oeil. On
s’assurait ainsi le loisir nécessaire pour découvrir le mystère
d’iniquité, pour déjouer le plan des ennemis.
^ On mit en oeuvre le grand engin du gouvernement wahabite,
l’espionnage, qui est ici plus savamment pratiqué qu’il ne le fut
jamais chez les Romains au temps de Tibère. Pendant ce temps,
les magiciens et les conspirateurs étaient tranquillement étendus
dans leur khawah, aspirant avec délices les vapeurs narcotiques
dont ils avaient dû s’abstenir tout le jour; ils avaient toutefois
eu la précaution de clore soigneusement portes et fenêtres pour
que les fumées de « la honte » ne troublassent pas l’atmosphère
sanctifiée de la capitale. Un coup timide est frappé à la porte.
Aite, les pipes sout mises de côté, tandis que Barakat parlemente
avec le nouveau venu, afin de laisser à l’odeur accusatrice ,1e
temps de s’échapper.
Le premier regard jeté sur l’inconnu qui troublait ainsi notre
repos, nous causa une vive surprise. Vêtu du costume afghan,
il portait, un riche turban d’une blancheur éclatante, et ses traits
offraient le type caractéristique des frontières du Punbjad ;
e était Abdel-Hamid, le théologien du palais. On ne pouvait
ehoisir plus habilement l’espion chargé de' surprendre nos des*
seins. Sa qualité d’étranger devait nous ôter toute défiance, et
son apparente franchise, la grâiee de ses manières, gagner notre
sympathie. Passé maître dans l’art de la dissimulation, il avait su
tromperies Wahabites-eux-mêmes, qui le jugeaient tout autre
qu il n était eu effet; il se croyait donc-assuré de nous démasquer
facilement, malgré nos sortilèges et notre art divinatoire.
Cet homme se prétendait fils du gouverneur de Ralk, ortho doxe
sunnite de la secte des hanifîs. Emportant d’immenses
trésors et suivi de serviteurs nombreux, en un mot, dans l’équipage
d un prince des contes de fée, il avait quitté sa terre natale
pour faire le pèlerinage de La Mecque; un naufrage désastreux
l’avait jeté sur un rocher inconnu du golfe: Persique; pour
■comble de malheur, des pirates lui avaient enlevé ce qu’il était
parvenu à sauver de la fureur des flots. Sans argent, sans compagnons,
il avait atteint les frontières wahabites et la renommée
de Feysul l’avait attiré à Riad, avec l’espoir qu’un prince si
généreux lui fournirait les moyens d’achever son pèlerinage,
puis de regagner Balk où l’attendait sa famille inquiète.
Mais une fois Sans la capitale du Nedjed, dans ce paradis de la
science et de la piété, il avait ouvert les yeux à la foi pure des
Wahabites, et renonçant dès lors aux joies de la patrie, il avait
résolu de consacrer le reste de. ses jours a l ’étude et à la pratique
du véritable islamisme, au milieu d’âmes soeurs de la sienne,
loin du tabac, des hérétiques et des payens.
Pourvu, grâce à la libéralité de Feysul, d’un assortiment convenable
de livres et de femmes, il édifia la ville par la dévotion
de ses prières et son apparence d’austérité. Son temps se partageait
entre la mosquée et le harem, il avait la bouche toujours
pleine des louanges de Dieu et de Feysul, et sa conversation roulait
invariablement sur la religion ou sur les femmes. Gomment
douter que sa conversion fût sincère? Gomment ne pas rendre
hommage à la ferveur qui lui avait fait abdiquer le rang de ses
ancêtres? Il est sans doute peu charitable de ternir l’éclat d’un
or aussi pur, d’attaquer une réputation si justement acquise;
mais je suis maintenant bien loin de Riad, et je ne ferai pas
grand tort à Abdel-Hamid en donnant une version moins flatteuse,
mais plus authentique de son histoire. Fils d’un misérable
artisan shiite, il était né à Peshawer, et avait été élevé dans les
principes d’une morale plus que douteuse; ayant tué un homme
dans une querelle, il s’était soustrait par la fuite à la justice de
son pays. Gomme la prudence lui ordonnait de prolonger son
exil pendant plusieurs années, il était venu s’établir à Riad pour-
attendre que le danger eût disparu, et il avait habilement
exploité le crédule fanatisme nedjéen. Toutefois, shiite ardent
au fond du coeur, il ne lui arrivait jamais de louer pieusement la
mémoire des califes ou des sahhabah, d’admirer ceux qui autour
■de lui en étaient la vivanteimage, sans les.maudire intérieurement,
sans les traiter inp&tto de fous et d’infidèles. Maisunebonne table,
un logement somptueux, de fins vêtements, des épouses belles
et nombreuses lui semblaient d’assez agréables compensations
pour adoucir l’amsrtume de l’-exil, et il attendait fort patiemment
que les circonstances lui permissent de rentrer dans sonpays.