
riablement six gros clous ; si la corne n’était pas excellente, les
maréchaux-ferrants nedjéens rendraient boiteux plus d’un magnifique
coursier.
Je quitte avec regret un sujet aussi intéressant, mais les limbes
de cet ouvrage ne me permettent pas de parler plus longuement
du généreux animal que Cowper appelle « le plus
* noble des deux, » quand il le compare à son maître. La
saillie du poète est ici injuste; si méchant que l’homme soit
devenu, si bas qu’il soit tombé, il y a toujours en lui quelque
vertu par laquelle il se rachète, quelque qualité qui lui donne
droit à l ’estime et à l'amour. Les Wahabites ne sont pas un
peuple modèle, leur cour est loin d’étre exemplaire; cependant,
ils portent gravée sur le front la noblesse de l’origine humaine;
faits à l’image de Dieu, ils ne peuvent effacer entièrement par
leurs vices le modèle primitif d’après lequel ils'ont été créés.
Tandis qu’en partageant mes soins entre les bipèdes et les
quadrupèdes, je^gagnais les bonnes grâces d’Abdallah, Mah-
boub, curieux de connaître les deux docteurs syriens, dont son
père, le grand trésorier Djowhar, parlait avec tant d’éloges, eut
la condescendance de nous faire en personne une visite, bien
que notre réserve habituelle nous eût empêchés de lui présenter
nos hommages. Le premier ministre Mahboub dans notre demeure
I Vraiment, oui! Et quel premier ministre encore!
Heureusement pour moi, Abou-Eysa me l’avait plusieurs fois
dépeint, sans quoi j’aurais commis quelque lourde méprise ;
mais Barakat ne pouvait en croire ses oreilles quand il apprit
que notre visiteur était la principale colonne de l’empire waha-
bite.
Né d’une esclave géorgienne donnée à Feysul par Abbas Pacha,
Mahboub, alors âgé d’environ vingt-cinq ans, paraissait si
jeune, avait si peu l’air d’un Nedjéen, ou même d’un Arabe, que
je demeurai frappé d’étonnement Son teint blanc, ses .cheveux
fins et doux, ses yeux bleus, ses membres bien proportionnés,
tout en lui reniait la prétendue paternité du nègre Djowhar, à
moins que les asserlions de mes livres médicaux, confirmées par
mon exp'rience personnelle, né soient complètement mensongères.
En réalité, tandis que le langage officiel, dont j ’imiterai la
prudence, désigne le grand trésorier comme père de Mahboub,
chacun dit tout bas que Feysul a des droits bien plus réels à ce
titre. 11 est inutile d’entrer dans le détail des mystères et des
scandales de la cour, si toutefois il est possible au Nedjed de
produire du scandale. Le lecteur devra me croire sur parole
quand je lui aflirmerai que Feysul, premier maître de la belle
esclave géorgienne, est assurément le père de Mahboub.
Le jeune ministre est habile et hardi, cela ne fait pas le
moindre doute; il a aussi un goût prononcé pour la littérature,
un désir de s’instruire qui indiquent son origine caucasique.
Mais il y joint un orgueil insolent, une tyrannie sanguinaire,
enfin une'légèreté de manières et de langage qui forment un
étrange contraste avec la gravité nedjéenne ; ces défauts, dus à
sa naissance et à son éducation, sont voilés en partie par l’indépendance
de pensées, le ton de franchise, la gaieté cordiale
qu’il tient sans doute de sa mère, car son père, quel qu’il soit,
n’aurait pu les lui donner. Enfin, Mahboub est remarquablement
beau, il a le visage d’un Géorgien, et plus d’une fois,
en conversant avec lui, je me rappelai l’Arnold de Byron. A
l’âge où les Anglais de bonne famille étudient encore dans les
écoles, tout au plus servent en qualité de cornette ou de mids-
hipman, ce jouvenceau caucasien mène le vieux despote nedjéen
par le nez, se fait craindre de son terrible fils, abaisse à ses pieds
courtisans et zé'ateurs, et dispose presque seul des destinées
de l’Arabie centrale.
Sa première visite fut caractéristique. Laissant de côté l’étiquette,
il se montra très-familier, nous adressa vingt questions
'dont il attendait à peine la réponse, passa rapidement en revue
nos livres, notre pharmacopée, notre costume, nos personnes,
but à la hâte une tasse de café, nous assura de son patronnage,
puis, nous serrant la main.à la manière européenne, il se retira.
Abou-Eysa, dont Mahboub était le principal appui, et dont la
fortune se trouvait maintenant liée à la mienne, désirait vivement
que cette première entrevue fût suivie de relations fréquentes;
de mon côté, j’étais curieux d’étudier un personnage
aussi important et aussi extraordinaire; en conséquence, dès
le lendemain, ' je me rendis au palais accompagné d’Abou-
Eysa.
Mahboub était assis dans le divan de Djowhar. Il reçut le
guide avec la familiarité d’un ancien protecteur et m’honora