
côte; quant aux huttes construites sur le rivage, elles servent
à cacher leurs trésors ; tout au plus sont-elles habitées par les
femmes et les enfants. « Depuis le premier d’entre nous jusqu’au
dernier, me disait un soir Mohammed-ebn-Thani, nous sommes
les eselavesd’une seule maîtresse ; la perle. » En effet, toutes les
pensées, toutes les conversations, toute l’activité des habitants
se concentrent sur cet unique objet, le reste est regardé comme
un passe-temps qui ne mérite pas de fixer l’attention.
J ’ai parlé de voleurs et de pillage. La population du Katar
sèmble avoir peu de chose à craindre d’ailleurs ; trop occupée
pour être guerrière, sa passive tranquillité rend presque inutiles
les rouages ordinaires de l’administration. L’autorité d’Ebn-
Thani est à la vérité reconnue dans la province entière, laquelle
relève du sultan d’Oman; mais le gouverneur de Bedaa ne possède
guère qu’un pouvoir nominal sur les autres villages, dont
toutes les affaires sont réglées par les chefs locaux. Aux yeux
des habitants, Mohammed est un collecteur chargé de percevoir
le tribut annuel établi sur les perles. Mohammed-el-Khalifah
exerce aussi sur le Katar une sorte de contrôle, que ce digne
personnage fait consister uniquement à choisir de temps à
autre dans les différentes bourgades une jolie fille qui, pendant
quinze jours ou un mois est élevée à la dignité d’épouse; un
douaire la dédommage ensuite de la répudiation. Pendant que
j’étais à Bedaa, le vice-roi de Moharrek se rendit dans une ville
voisine nommée Douhah pour contracter un de ces faciles
mariages qu’il rompt si aisément. L’union fut célébréè avec
une grande pompe ; on consulta les lois du pays, on ordonna
des réjouissances publiques, et Mohammed répandit à pleines
mains les trésors de Menamah et de Moharrek pour satisfaire
les caprices de ses passions.
Zabarah, la plus grande des îles quiavoisinent Bedaa, la seule
qui ait une certaine importance territoriale, sert de résidence
à l’un des El-Khalifah, mais elle n’a du reste aucun titre pour
mériter une mention particulière.
Si le Katar jouit au dedans d’une paix qui n’est jamais troublée,
il doit se défendre contre les incursions des Bédouins
Menasir et Al-Morrah, tribus voisines de ses frontières, et dont
les déprédations s’étendent depuis l’Hasa jusqu’à l’Oman proprement
dit. Peu de nomades se sont rendus aussi redoutables
à la population sédentaire que ces clans belliqueux qui, s’il faut
en croire la rumeur publique, ont amassé à l’aide du meurtre et
du pillage des richesses considérables; ils possèdent en abondance
des moutons et des chameaux, qu’ils ont arrachés à leurs
paisibles propriétaires et qu’ils amènent dans les pâturages
situés entre le désert et les montagnes qui bordent la côte. De là
est venue la nécessité de construire des tours de refuge, bâtiments
circulaires de vingt-cinq ou trente pieds de haut, dans
lesquels on pénètre au moyen d’une corde, la porte étant élevée
de quinze pieds au-dessus du sol. Quand ils sont surpris
par une attaque imprévue, les villageois du Katar gagnent cet
asile, tirent la corde après eux, et s’ils abandonnent le troupeau,
ils sauvent au moins leur vie ; car, pour escalader la muraille,
il faudrait une adresse que ne possède aucun Bédouin. Quelquefois
les Menasir, enhardis par l’impunité, — les habitants de
Katar n’ont aucune prétention à l’audace guerrière, — attaquent
les villages et emportent un butin plus précieux que des bestiaux.
En suivant la côte vers l’est, on rencontre le clan des Benou-
Yass, peuplade demi-errante, demi-sédentaire, dont la principale
occupation est de piller les bâtiments qui se livrent à la
pêche des perles. Leurs sinistres exploits avaient fait donner au
district entier le nom de « Terre des pirates. » La bourgade
de Sour, simple agrégation de huttes réunies autour d’une
forteresse en ruines, forme leur principal repaire. Bien que
dépourvus de civilisation, les Benou-Yass, qui sont d’origine
omanite, partagent les sentiments politiques et nationaux de
leurs compatriotes. Ennemis implacables des musulmans et
surtout des wahabites, ils n’hésiteront pas à marcher contre
eux dès que l’occasion s’en présentera. Dans les expéditions dont
le brigandage est le mobile, ils se joignent volontiers aux Menasir,
dont cependant ils diffèrent sous le rapport de la race
et des coutumes. Les nomades de cette tribu, d’après une
tradition que confirment pleinement leur dialecte et les traits
de leur visage, descendent de la grande famille des Abs, à
laquelle appartenait le célèbre Antarah-ebn-Sheddad ; ils sont
par conséquent d’origine nedjéenne, tandis que les Benou-Yass,
sortis de la tribu kahtanite de Modhedj, habitaient autrefois
l’Hadramaut, d’où ils se sont avancés vers le nord jusqu’au Katar.