
taient, comme leur chef, un costume aux couleurs éclatantes;
ils avaient la lance sur l’épaule, le sabre battait à leur côté, un
mousquet pendait à leur selle et le poignard effilé de l’Harik complétait
cet attirail imposant. Saoud descendit de cheval et baisa la
main de son père : * Que Dieu protège le roi ! qu’il donne la victoire
aux vrais musulmans! » criait le peuple, et tous les visages
s’enflammaient d’un sauvage enthousiasme. Feysul, se levant
alors, plaça son fils auprès de lui. Quelques instants plus tard,
tous deux entraient ensemble au château, tandis que les troupes
gagnaient leurs quartiers.
Abdallah seul avait refusé d’assister à la solennité. Bien
qu’il se réjouît de réaliser enfin ses plans de guerre et de
conquête, sa haine jalouse s’irritait des honneurs rendus à
son frère. Le lendemain Feysul, qui aurait voulu rapprocher
ses deux fils, engagea Saoud à faire les premières démarches.
« Je suis l’hôte étranger, répondit le prince, et Abdallah
demeure dans la ville, c’est son devoir de venir d’abord. »
Le roi insista, en vain. Furieux d’une telle résistance, il se leva,
soutenu par deux esclaves, et fit à Saoud un geste menaçant.
* Vous pouvez frapper, vous êtes mon père, répliqua celui-ci
avec fermeté, mais je n’irai pas chez Abdallah. » Les nègres
s’interposèrent, et Feysul, honteux de son emportement, laissa
partir son fils sans ajouter une seule parole.
Quelques heures plus tard, le sultan aveugle, monté sur un
cheval que ses serviteurs menaient par la bride, traversait la
rue qui conduit du palais à la demeure d’Abdallah. Il raconta
au prince ce qui venait de se passer, et le supplia d’accomplir
son devoir en faisant la première visite ; mais il trouva son fils
aîné aussi intraitable que Saoud. Après beaucoup d’inutiles
prières : » C’est ma faute, dit enfin Feysul. Pour l’amour de
vous, j ’ai mal agi envers votre frère, pourtant il a raison et
nous avons tort. Il est temps de réparer notre faute ; venez
avec moi au palais, nous nous rendrons ensemble chez lui, ma
visite colorera la vôtre, et vous m’épargnerez le chagrin de
votre désunion. » Abdallah ne pouvait refuser plus longtemps,
les politesses prescrites par l’étiquette furent échangées entre
les deux frères et le danger d’un second scandale public se
trouva éloigné. Mais Mahboub avait été instruit de l’aventure,
t Comprenez-vous maintenant, dit-il à Feysul, le véritable état
des choses ? Par Allah ! vous serez à peine descendu dans le
tombeau que le cliquetis des épées retentira depuis l’Ared jusqu’au
Sedeyr. » Feysul soupira profondément. Quel remède
existe-t-il contre une rivalité transmise des mères aux enfants,
et envenimée par la perspective d’une couronne ?
Trois jours après l’arrivée de Saoud, un de ses officiers,
grand et beau jeune homme, vint avec une extrême politesse,
me prier d’aller sans retard auprès de son maître qui, disait-
il, souffrait d’une violente douleur. Le prince m’accueillit avec
la bienveillance et la bonne humeur qui lui sont ordinaires.
Quand je m’informai de son mal, il partit d’un grand éclat de
rire. « Je me porte aussi bien que vous, répondit-il, c’était
simplement un prétexte pour vous faire venir chez moi. » L’en -
tretien, commencé sur ce ton familier, se prolongea longtemps ;
Saoud exprima une grande sympathie pour l’Égypte, car étant
l’ennemi d’Abdallah et sentant que bientôt il aurait à soutenir
une lutte contre ce rival redoutable, il voulait se ménager l’appui
d’un gouvernement hostile à son frère, chef du parti ultra-
wahabite. Pendant le reste de mon séjour à Riad, il me manda
fréquemment et me témoigna une bienveillance peut-être
sincère, ma prétendue origine égyptienne le disposant en ma
faveur, tandis qu’au contraire, elle.excitait la défiance d’Abdallah.
D’un autre côté, mes succès médicaux et le bon accueil que
je recevais à la cour, provoquaient la jalousie, une observation
prolongée éveillait le soupçon ; le ciel, si serein jusqu’alors,
s’obscurcit peu à peu, et plusieurs signes précurseurs annoncèrent
l’approche de la tempête. Nous aurions pu la détourner
peut-être, si nous avions été prudents, malheureusement la
vérité m’oblige à convenir que plus d’une fois je me rendis
coupable de témérités inutiles.
Un soir, par exemple, Abdallah m’importunait de ses instances
pour obtenir un remède contre le mal de dents, dont
il souffrait beaucoup. J’en proposai deux ou trois, il ne les
approuva point. Enfin, j ’insinuai que j’en savais encore un
autre, d’une efficacité souveraine, mais qu’il fallait employer
dans le plus grand secret. « Quel était-il? » demanda le prince
avec empressement. « Il consiste, répliquai-je, dans l’emploi
de quelques feuilles de tabac que l’on applique sur la dent