
ce moment à peu près trois cents chevaux, et j ’appris qu’il y en
avait autant dans les pâturages. .
Aucun Arabe n’imaginerait d’attacher ces nobles bêtes par le
cou; une des jambes de derrière est entourée, à la hauteur du
paturon, d une chaîne légère, fermée par un cadenas et attachée
à une corde fixée dans le sol par une cheville de fer. Si l’animal
était trop impétueux, une des jambes de devant serait attachée
de la même manière. Il y a du reste beaucoup moins de chevaux
vicieux en Arabie qu’en Europe, ce qui fait que les hongres
y sont fort rares. Aucun préjugé ne s’oppose à cette opération,
mais on ne la pratique pas, parce qu’elle n’est pas nécessaire
et tend à diminuer la valeur de l’animal.
Revenons au haras de Feysul. Jamais je n’avais vu, jamais je
n avais imaginé une si admirable réunion de chevaux. Ils manquent
peut-être un peu de hauteur, mais leurs formes exquises
empêchent d’apercevoir ce défaut, si défaut il y a. Ils ont les
hanches bien pleines, les épaules d’un modèle si pur que, selon
les expressions d un poète arabe, « on en deviendrait fou d’ad -
miration ; » la cambrure légère de leur dos annonce la merveilleuse
souplesse qui chez eux s’unit à la force ; leur tête,
large au sommet, s’amincit tellement vers les naseaux qu’ils
pourraient « boire dans une pinte, » si les pintes existaient au
Nedjed; ils ont les yeux grands, pleins d’intelligence et singulièrement
doux, l’oreille petite et d’une extrême finesse; leurs
jambes, qui paraissent faites de fer forgé, sont d’un brillant
irréprochable et laissent pourtant apercevoir les saillies des
muscles ; leur sabot arrondi est parfaitement approprié au sol
dur du Nedjed; la queue, fièrement rejetée en arrière, décrit
une courbe gracieuse ; ils ont une robe soyeuse et brillante,
une crinière longue sans être trop touffue ; enfin toute leur
allure semble dire : * Regardez-moi, n’ai-je pas bon air? » La
couleur dominante est le gris ou l’alezan doré; quelques-uns
sont bai-clair, blancs, noirs, gris de fer, on n’en rencontre aucun
qui soit bai-brun, pie ou pommelé. Les chevaux nedjéens
ont une élégance, une harmonie de formes que l’on chercherait
vainement ailleurs ; mais ce qui constitue, selon moi, leur caractère
distinctif, c’est le modelé parfait de l’épaule, la plénitude
des hanches, l ’admirable brillant de la jambe.
R est inutile d’ajouter que bien souvent déjà j ’avais pu étudier
les chevaux arabes. Le Djebel-Shomer en élève de très-beaux,
que les rois et les princes européens achètent à des prix fabuleux.
Ces animaux proviennent pour la plupart d’une jument
shomérite et d’un étalon nedjéen, jamais,—du moins à ma connaissance,
— ils ne sont de pure race nedjéenne. Ils ont moins
d’élégance et l’on peut reprocher à presque tous quelque léger
défaut; enfin leur taille est plus variée, quelques-uns ont seize
paumes, les autres quatorze. Chacun connaît les classifications
généalogiques qui les divisent en Manakis, Siklawis, Hamdanis,
Toreyfis, etc. J’avais moi-inême dressé une liste de ces noms
pendant un voyage fait quelques années auparavant dans le désert
syrien, parmi les Bédouins Rúalas. Aucune différence notable
n’existe entre les renseignements queje recueillis alors et
les détails donnés par les voyageurs européens; les nomades ne
manquèrent pas non plus de me raconter leurs vieilles légendes
sur les écuries de Salomon; mais je crois que les généalogies,
et plus encore l’amique origine qu’on leur attribue, sont des
fables inventées par les Bédouins pour augmenter le prix de
leurs chevaux. Je n’ai j amais entendu parler dans le Shomer de
siklawis, de delhamis, de manakis ; les écuries de Salomon n’y sont
pas plus connues que celles d’Augias. Au Nedjed, on m’assura
que nul ne s’occupait de la généalogie, et que l’on s’inquiétait
seulement de savoir si le père et la mère de l'animal n’avaient
aucun défaut. * Quant à Salomon, ajouta le palefrenier, il aurait
plutôt pris nos chevaux que nous les siens, » remarque qui ne
manque pas d’une certaine vraisemblance historique. En un
mot, le métier de maquignon demande au Nedjed à peu près
autant de science que dans le Yorkshire, mais pas plus.
La pure race nedjéenne, autant que j ’ai pu m’en assurer,
existe uniquement dans le Nedjed, encore n’y est elle pas commune.
Les chefs seuls, ou les-riches Arabes, possèdent ces magnifiques
animaux; jamais ils ne sont vendus, et quand je demandai
comment il était possible de les acquérir : « Il faut les
recevoir à titre de don, les obtenir par héritage ou bien les
enlever dans un combat, « me fut-il répondu. Les contrées voisines
n’ont d’autre moyen de se procurer les chevaux du Nedjed
que de les conquérir par les armes ; encore cela est- il fort rare ;
si parfois une politique prudente conseille d’en envoyer quelques
uns en Egypte, en Perse ou en Turquie, jamais on ne