
Nedjed des citoyens qui eussent un esprit plus éclairé, des vues
plus larges que leurs compatriotes, qui fussent en état de combattre
la dangereuse influence des préjugés et des fausses doctrines.
La folle conduite de ses successeurs, plus encore que la
résistance du caractère nedjéen, fit évanouir les brillantes espérances
du pacha. En quittant l’Arabie centrale, il y laissait des
sentiments que peu de conquérants inspirent aux populations
vaincues, la confiance, l’attachement, une admiration respectueuse
et sincère; sa mémoire est aujourd’hui encore populaire
au Nedjed, si ce n’est parmi les ultra-wahabites, qui pourraient
appréhender de voir une seconde invasion égyptienne suivie
d’une conférence dogmatique pareille à celle de la grande mosquée
de Dereyah.
L’un des officiers d’Ibrahim, Ismaïl-Pacha, avait été nommé
gouverneur des provinces conquises. 11 occupa ce poste pendant
deux années, visita l’Hasa, qui se réjouissait d’être délivré du
joug wahabite, parcourut l’Yémamab, l’Harik, le Kasim, plaça
partout des garnisons égyptiennes. Malheureusement, moins
sage que le fils adoptif de Méhémet-Ali, il ne chercha pas à réprimer
chez les soldats l’insolence des vainqueurs; l’oppression
réveilla les antipathies nationales, et l’indignation publique sapa
les bases du nouvel empire.
Aucune rébellion importante n’éclata pourtant sous l’administration
d’Ismaïl, mais Kalid-Pacha, qui, après lui gouverna
le Nedjed, se montra plus cruel, plus tyrannique encore; n’é-
coutant que les conseils d’une aveugle fureur, il introduisit à
Riad l’empalement, les bûchers et la torture ; dès lors la haine
soulevée par le gouvernement égyptien fut à son comble. Les
habitants résolurent de s’affranchir, et trouvèrent un libérateur
prêt à seconder leurs desseins.
On se souvient que Turki, fils d’Abdallah, était parvenu à
s’enfuir de Riad, lorsque la ville avait été prise par Ibrahim. 11
se réfugia dans le Sedeyr, où il mena pendant plusieurs années
une existence errante et misérable ; puis il vint à Bassora et y
demeura caché sous un humble déguisement. Tout espoir semblait
perdu pour lui ; son père, après une courte captivité en
Egypte, avait été conduit à Constantinople et mis à mort par
ordre du sultan ; ses frères, ses parents, les nobles otages emmenés
au Caire, y subissaient une dure captivité; enfin, nulle
réaction ne se produisait dans le Nedjed, et le gouvernement
égyptien semblait s’affermir chaque jour.
L’injustice et la cruauté de Khalid ranimèrent la confiance de
Turki; il prévit l’explosion prochaine du sentiment patriotique
que la sage conduite d’Ibrahim avait d’abord contenu. Le Nedjed,
impatient de secouer le joug, avait besoin d’un chef, il ne pouvait
en choisir un meilleur que le fils de son malheureux roi, 1 héritier
naturel de la couronne. Des messagers furent envoyés au
jeune prince, qui avait déjà quitté Bassora pour se rapprocher
du Sedeyr ; bientôt après, des bandes de maraudeurs descendaient
du Toweyk, massacraient les avant-postes égyptiens, et annonçaient
la présence de Turki sur les hauteurs qui dominent la
Wadi Hanifah.
Khalid, étourdi du brusque changement, des affaires, divisa ses
forces, et se laissa entraîner à une guerre d’escarmouches que la
connaissance parfaite du pays, la sympathie des populations rurales,
l’audace et le courage de ses adversaires, ne pouvaient manquer
de rendre avantageuse à Turki. Le Nedjed apprit à mépriser
les maîtres que jusque-la il respectait tout en les détestant.
Un soulèvement général éclata, et, depuis le Kasim jusqu’aux
rives du golfe Persique, l’Arabie centrale entière leva l’étendard
de la révolte. Les garnisons de l’Hasa, de l’Yémamah, de l’Harik,
furent massacrées ; quelques soldats durent la vie à la compassion
des habitants, d’autres trouvèrent leur salut dans la fuite.
Khalid craignant, non sans raison, de voir couper ses communications
avec l’Égypte, se retira dans le Kasim; Turki entra triomphalement
dans la grande vallée centrale et fut sans opposition
proclamé sultan du Nedjed.
Son premier soin fut de choisir une nouvelle capitale ; les ruines
sanglantes qui couvraient encore Dereyah, les désastres dont
cette ville avait été le théâtre, en faisaient un séjour peu convenable
pour le restaurateur de l’empire wahabite. Riad, centre
du Nedjed au temps de Moseylemah, et préservée par une faveur
céleste toute spéciale de l’épée du terrible Khalid-ebn-Walid, le
lieutenant d’Abou-Bekr, semblait promettre à la dynastie des Ebn-
Saoud une meilleure fortune. La ville était d’ailleurs située avantageusement,
entourée de champs fertiles, et si la salubrité de son
climat laissait à désirer, cette circonstance n’était pas de nature
à déranger les calculs d’un homme d’État nedjéen. Turki établit