
danger est imminent, et c’est dans le Nedjed même qu’il vous
faudra soutenir la lutte. »
Le roi ne put s’empêcher de rendre justice à l’habileté de son
serviteur, et il lui laissa la vie. Il concentra ses troupes en toute
hâte, résolu d’attendre l’ennemi près de Kowey, au point où la
route de la Mecque pénètre dans les tortueuses vallées du
Toweyk. Il espérait que son adversaire arriverait en cet endroit
exténué par la traversée du désert, avec des troupes décimées
dans les combats de guérillas qu’elles auraient eu à soutenir
contre les Bédouins. Les calculs d’Abdallah étaient justes, et
avec un adversaire moins habile, ils se seraient réalisés de point
en point.
Mais Ibrahim avait roulé « le tapis arabe » et montré comment
les tristes expéditions de Cambyse, de Crassus et de Napoléon
auraient pu avoir un résultat sinon complètement heureux, en
tous cas beaucoup moins funeste pour leurs auteurs, dans la
Basse Scythie, dans le Désert syrien, et au milieu des neiges de
la Russie. La manière dont il s’y prit mérite d’être rapportée;
elle pourrait servir de modèle à des opérations militaires en
Asie, surtout à celles qui seraient entreprises sur une grande
échelle et qui auraient pour théâtre l’intérieur du continent.
Après avoir débarqué à Djeddah, où il reçut la soumission
d’Ebn-Saadoun et des Djebel Asir, il suivit avec son principal
corps d’armée, la longue et sablonneuse vallée qui conduit de
La Mecque au Nedjed, laissant à sa gauche le Nefoud du Kasim,
à sa droite la chaîne basse du Toweyk, s’écartant ainsi de la
Wadi Dowasir et de sa population fanatique. Sur cette route il
ne devait rencontrer d’autres ennemis que les habitants mal
armés de quelques villages et de pauvres tribus de Bédouins,
tels que les Harb, les Oteybah, les Anezah, les Kahtan ; s’il ne
pouvait s’approvisionner d’eau chaque jour, il était du moins
sûr d’en trouver, toutes les quarante ou cinquante heures, aux
puits creusés le long du chemin qu’il allait parcourir.
Il s’avançait en allié, non en conquérant. Chaque seau d’eau
tiré par les Bédouins pour les troupes, chaque datte cueillie,
chaque morceau de bois consumé étaient à l’instant même payés
généreusement ; tandis que les officiers et les soldats, retenus
par la crainte de peines sévères, n’osaient faire la moindre
insulte à la population désarmée.
Les villages et les tribus, frappés du déploiement de la puissance
égyptienne, attirés par l’espoir du profit, séduits par l’ordre
et la sécurité qui leur étaient offerts, se détachaient l’un après
l’autre du Nedjed pour se soumettre à Ibrahim. Tous ceux qui
demandaient à traiter, obtenaient aussitôt les conditions les plus
avantageuses. Une faible minorité refusait cependant d’abandonner
la cause des vrais musulmans, pour reconnaître la souveraineté
« du chacal égyptien. » Ibrahim se garda de recourir
à la violence ; il se contenta de chasser de leurs demeures ces
obstinés sectaires, et de les pousser vers le Nedjed, leur recommandant
avec une amère ironie « d’aller grossir les rangs des
fidèles. » Cette manoeuvre épuisait les ressources d’Abdallah
en le chargeant d’une foule inutile et affamée. L’offre de quelques
pièces de monnaie et d’une ample provision de tabac faite
aux Bédouins qui fourniraient des chameaux et des guides pour
la route, amena tous les clans nomades sans exception sous
l’étendard du pacha. Ainsi « roulant pas à pas le Nedjed, » approchant
par des marches faciles du plateau central, pourvu de
toutes les provisions nécessaires à son armée, ne perdant pas
une goutte de sang, Ibrahim maintenait ses communications
avec l’Egypte, et ne laissait derrière lui que des alliés et des amis.
Il rencontra près de Kowey un détachement de l’armée ned-
jéenne. Abdallah avait déjà expédié à l’envahisseur messages
sur messages, dans le but de l’apaiser; mais toutes ses propositions
ne recevaient d’autre réponse que « à Dereyah. » Malgré
ses vices, Abdallah n’était pas lâche; il prit la résolution de
garder l’entrée des montagnes et d’en vendre chèrement le
passage.
Ses avant-postes furent bientôt culbutés par les colonnes égyptiennes,
et après deux ou trois escarmouches, Ibrahim arriva
devant Shakra, cité beaucoup plus commerçante que guerrière,
qui lui ouvrit ses portes. A quelques lieues plus loin cependant,
près de Koreyn, le roi avait réuni les forces principales du Nedjed,
que commandait sous ses ordres l’invincible Harith, le plus
cruel de tous les chefs nedjéens.
Là eut lieu une bataille non moins acharnée que celle qui fut
autrefois livrée par Khalid à Moseylemah. Elle dura deux jours,
et les pièces de campagne égyptiennes firent seules, dit-on, pencher
la balance. Harith se fraya un passage à travers les lignes