
sur une largeur à peu près égale ; on y arrive par un vestibule
dans lequel les visiteurs doivent déposer leurs souliers et leurs
chaussures. Plus loin, une autre porte conduit à la prison; je
visitai deux des cellules; grandes, aérées, pourvues de tout ce
qui est essentiel au confort arabe, elles auraient obtenu l’approbation
d’un Howard1. La Habs-ed-Dem (chambre du sang) fournit
sans doute aux criminels d’État une demeure moins commode
; mais il ne me parut pas prudent de demander à en voir
l’intérieur. Près de la prison, en face de la porte ouvrant sur la
cour intérieure, un escalier découvert mène au second étage qui
renferme la salle spacieuse destinée aux hôtes. On dit que, dans
l’épaisseur du mur, Feysul s’est ménagé un petit cabinet qui
communique secrètement avec le harem, et que, de cette cachette,
il vient épier les paroles échappées au milieu de l’épan-
chement d’un banquet à des étrangers sans défiance. La rapière
d’Hamlet serait la meilleure arme à employer lorsque de sem-
blables rats se font entendre derrière la boiserie, et ici l’on
pourrait toujours répondre ‘affirmativement à la question du
sombre héros de Shakespeare : * Est-ce le roi ? »
L’obscure galerie qui conduit au khawah se prolonge sous l’escalier,
donne entrée à droite dans les cuisines, dans le Musalla
(oratoire) où s’assemblent pour prier les gens du palais, et aboutit
enfin à une seconde cour, bordée d’un côté par l’arsenal et
la poudrière, de l’autre par des ateliers remplis d’artisans attachés
au service spécial du palais ; j ’v remarquai entre autres un
horloger. Près de là se trouvent les appartements de notre ami,
le ministre Abdel-Aziz, 'et ceux d’un personnage fort suspect,
nommé Abdel-Hamid, avec lequel nous aurons occasion de lier
plus ample connaissance.
Le même corridor ouvre à gauche sur la magnifique résidence
de Mahboub, premier ministre de Feysul; en face habite
le metowa, ou chapelain du palais, dont la demeure touche à
celle d’un savant nedjéen, plongé comme lui dans l’étude du
fatalisme et de la prédestination, persuadé.comme lui que toutes
les religions, sauf la leur, sont un tissu d’erreurs et d’impiétés.
Puis viennent les somptueux appartements de Djowhar, grand
1. Philanthrope anglais du dernier siècle, qui a considérablement adouci le
régime des prisons;
trésorier du roi, — son nom, qui signifie bijou, est merveilleusement
approprié à ses fonctions, — et enfin une longue’suite
de chambres occupées par Saoud, second fils de Peysul, pendant
les courtes visites qu’il fait à son père. Abou-Shems, chef de
l’artillerie nedjéenne, habite aussi cette partiedu palais. Soixante
■ou quatre-vingts serviteurs, nègres, pour la plupart, sont également
logés au château, avec les nombreuses femmes dont
les a dotés l’orthodoxie wahabite. Si l’on songe que chaque
épouse du moindre subalterne a sa demeure particulière, on
imaginera aisément quel aspect disparate et confus doit présenter
cette masse de constructions. Sur la gauche, se trouve la
Bab-es-Sirr, porte secrète destinée à faciliter la fuite du prince
en cas de siège ou de trahison. La ruche royale est protégée par
des tours et de hautes murailles ; les deux tiers de sa circonférence
sont défendus par un fossé profond.
Le palais de Riad occupe un espace presque aussi grand que
les Tuileries, et sa hauteur ne le cède en rien à l’édifice français
; mais là .s’arrête l’analogie, car rien ne ressemble moins
à l’admirable monument bâti par Philibert Delorme que le
massif et irrégulier Louvre wahabite. Les Nedjéens ont sacrifié
toute autre considération à la sûreté de la défense, et le château
de Peysul offre extérieurement une ressemblance frappante
avec Newgate, quoique vraisemblablement la prison anglaise
ne renferme pas à l’intérieur le même luxe et le même confort
que le repaire des voleurs wahabites. Les appartements de la
famille royale, ceux de Mahboub et de Djowhar surtout, se distinguent
par une richesse remarquable. Les étages supérieurs
sont disposés commodément et reçoivent une lumière abondante;
on n’en peut dire autant du rez-de-chaussée qui gagnerait
beaucoup à être éclairé au gaz, si l’on en connaissait
l’usage ici.
Le pavillon occupé par Peysul et ses épouses a la forme d’un
rectangle, au milieu se trouve une cour dans laquelle nul profane
ne saurait pénétrer. La salle des audiences, seule pièce de
la résidence particulière du monarque où les étrangers soient
admis, est élégante, spacieuse, confortable; elle mesure cinquante
pieds de long sur vingt de large et elle a une hauteur
proportionnée.
Dans la cour près de laquelle réside le valeureux Abou-Shems,