
nous aperçûmes au sud-ouest des puits d’eau saumâtre entourés
d’herbes et de buissons, au milieu desquels paissaient les chameaux
et les chevaux que le gouverneur de Shardjah, Khalid-
ebn-Sakar, envoie ici pendant les mois d’hiver; une demi-douzaine
d’Arabes gardaient ces animaux, et près d’eux stationnait
dans une petite baie un smack omanite qui avait cherché comme
nous un refuge contre le gros temps. A part ces hôtes temporaires,
l’île n’est habitée que par des lièvres et des oiseaux sauvages.
La solitude comparative de cè lieu parut affecter péniblement
mon compagnon Yousef, habitué au séjour des villes; se tournant
vers moi avec un sourire mélancolique, il me fît observer
que si nos amis se demandaient où nous étions, aucun d’eux ne
songerait aux misérables rochers d’Abou-Mousa. Il me parlait de
la sorte tandis que nous traversions à la nage l’espace qui séparait
notre vaisseau de la côte, portant sur la tête, celui-ci un
tapis, celui-là des cafetières, un troisième des ustensiles de cuisine.
Dans la prévision que notre séjour pourrait se prolonger,
nous avions résolu d’établir à terre un campement complet, opération
assez longue, car notre vaisseau était de trop grande dimension
pour approcher du rivage comme les djalibout, ainsi
que les Arabes appellent les petits canots nommés par les Anglais
jolly-boat. Nous nous établîmes dans l’île avec les matelots
nègres et les passagers omanites, gais compagnons et excellents
nageurs; quant aux moroses habitants de Djishm, ils restèrent
pour protéger le navire contre les Tritons et les Néréides.
Nous demeurâmes deux jours prisonniers dans Abou-Mousa ;
pour passer le temps, nous grimpions sur les rochers, ou bien
nous causions avec les chameliers de Khalid et avec les pêcheurs
du petit smack, qui désiraient autant que nous se distraire de
leur solitude et devinrent bientôt nos amis. Pendant que nous
étions ainsi occupés, Yousef, ignorant que tout ce qui brûle
n’est pas or, ramassait de gros morceaux de spath, matière qu’il
croyait très-précieuse. Enfin, bien que nous fussions à la mi-
février, la température était assez douce pour nous permettre
de déployer nos talents en natation; nous ne pensions guère
alors que bientôt ils seraient mis à une plus sérieuse épreuve.
Les heures s’écoulaient gaiement au milieu de ces modestes
plaisirs; je n’avais absolument rien à faire dans l’île, et je goûtais
pleinement la douceur du farniente, tout en prêtant l’oreille
aux brisants dont la voix irritée annonçait qu’il était impossible
de quitter notre Patmos arabe. Cependant, toute chose en ce
monde a une fin, sur mer comme sur terre; le 16, au soir, le
vent s’étant calmé, hommes et moutons regagnèrent le bord, et
avant le coucher du soleil, Abou-Mousa disparaissait lentement
à notre vue, peut-être pour toujours.