
et de tout sexe, mais appartenant aux classes les plus pauvres,
six ou huit matelots, enfin des troupeaux, de moutons, s’entassaient
pêle-mêle sur le navire, qui n’offrait pas la moindre
cabine où nous pussions nous réfugier. Yousef et moi nous nous
installâmes à l’arrière du pont et, peu d’instants après, le capitaine
leva l ’ancre. Les flots étaient encore agités, aussi mes
compagnons avaient-ils le mal de mer ; pour moi, grâce à mes
longs voyages et aux gros temps dont j ’avais souvent fait
l ’épreuve, j ’étais exempt de ce fâcheux ennui.
Nous avançions rapidement, laissant sur notre passage maint
banc de sable et maint récif, dont le changement de couleur des
vagues trahissait la présence ; à notre droite s’étendait la côte
de Bahraïn, avec ses plages monotones parsemées çà et là de
quelque chétifs villages. Le soir, nous arrivâmes en vue d elà
pointe occidentale du Katar, désigné sur beaucoup de cartes par
le nom de Bahran, quoique personne en Arabie ne l’appelle
ainsi. Bahran est simplement le nominatif du mot dont Bahraïn
est le génitif; nos géographes, je suppose, auront été trompés
par une phrase obscure qu’ils auront mal comprise. Les rivages
tristes et stériles du Katar sont bordés de rochers d’une faible
hauteur; de distance en distance, s’élèvent des tours de garde
semblables à celles que l’on aperçoit sur la côte de Syrie,
et que la tradition attribue à l ’impératrice Hélène, mère de
Constantin.
Au milieu de la nuit, nous fûmes réveillés par le bruit que
faisait la quille du navire heurtant contre les récifs. Il s’ensuivit
une telle confusion, des manoeuvres si singulières, qu’ il
fallut un hasard providentiel pour nous tirer de péril. Le lendemain,
exposés comme nous l’étions à toutes les. injures du
temps, nous eûmes à essuyer les rafales d’un vent impétueux
qu’accompagnait une pluie abondante ; nous doublâmes cependant
le Ras Rekan, cap qui forme la pointe la plus septentrionale
du Katar et dont le front orgueilleux est couronné de
rochers. Je remarquai sur les hauteurs une forteresse qui protège,
me dit-on, un village caché dans une gorge voisine.
Poussés par une brise favorable, nous arrivâmes le 28 devant
Bedaa. La ligne de côtes que nous avions suivie depuis le Ras
Rekan est fort escarpée ; nous y avions compté tout au plus six
villages uniquement habités par des pêcheurs. Dès que nous
eûmes jeté l’ancre, Ebn-Khamis se rendit à terre, afin d’offrir
ses hommages au gouverneur et de s’assurer un logement ; pour
moi, en raison de l’heure avancée, je préférai passer la nuit sur
le navire. Le lendemain matin, mon compagnon étant venu me
prendre, nous traversâmes tous deux l’espace liquide qui nous
séparait de Bedaa, principale ville du Katar.
C’est la pauvre capitale d’une pauvre province. Que le lecteur
se représente une longue chaîne de montagnes basses, arides et
brûlées, dont quelques arbres solitaires varient à peine l’aspect
monotone ; à leurs pieds s’étend la plage, formée de boue et de
sables mouvants que borde une rangée de varèchs plongés au
milieu de la vase qui porte ici le nom de mer. Si du haut des
collines nous jetons un coup d’oeil sur le pays, nous apercevrons
de maigres pâturages où, pour chaque brin d’herbe, on rencontre
au moins vingt cailloux. De loin en loin se groupent des
habitations de l’apparence la plus misérable, cabanes de pisé,
huttes de feuillage, qui rivalisent entre elles de laideur et de
malpropreté; ce sont les villages ou, pour me servir de l’expression
employée par les habitants, les villes du Katar. Mais quelle
que soit la stérilité du pays, il est voisin d’une région plus
aride encore, dont les habitants s’efforcent souvent d’acquérir
par la violence ce que leur refuse un sol ingrat. Aussi les
villages sont-ils entourés de solides murailles et même gardés
par des forteresses, qui semblent au premier abord n’avoir pas
plus de raison d’être que n’en a la tour de Londres en plein
dix-neuvième siècle. C’est que le Katar possède des trésors et
qu’il faut les dérober à l’avidité des pillards.
D’où peut venir cette opulence dans un pays si pauvre, et en
quoi consiste-t-elle? Cette plage fangeuse, ces habitations malpropres
ne sont pour ainsi dire que les monceaux de scories
accumulés auprès d’une mine ; le gisement lui-même, riche et
inépuisable, s’étend non loin de là ; c’est l’Océan, voisin aussi
hospitalier que la terre se montre avare. Les plus belles pêcheries
de perles du golfe Persique se trouvent sur les côtes du
Katar, et l’abondance de leurs produits paraît presque incroyable.
C’est donc de la mer que lés habitants tirent leur subsistance;
c’est sur la mer qu’ils habitent, passant une moitié de
l’année à recueillir les perles, l’autre à les vendre. Leurs véritables
demeures sont les innombrables barques qui garnissent la