
Mais ces conquêtes avaient soulevé contre Abdel-Aziz des inimitiés
redoutables. Le Katif et les îles Bahraïn dépendaient de la
Perse, à laquelle ils étaient unis par la communauté des sentiments
religieux et par des liens civils ; l’Oman avait aussi d’étroites
relations avec la Perse. La cour de Téhéran résolut de
venger leurs injures. Exposer une armée persane au milieu des
déserts de l’Arabie eût été aussi peu profitable que dangereux ;
un instrument familier aux shiites de tous les temps, le poignard,
leur offrit un moyen plus commode.
Les sectes dissidentes auxquelles' ont donné naissance les
querelles d’Ali et de ses successeurs sont nombreuses et variées ;
mais de temps immémorial, elles s’accordent toutes sur un
point : la justification et la pratique de l’assassinat. Les Ismai-
liens de l’Est, assassins par excellence, qui forment la souche primitive
d’où sont sortis les autres shiites, carmathes, kharidjites,
metawelats, ont toujours sanctionné la dague du meurtrier,
quand il s’agit d’atteindre un but ou de se débarrasser d’un
rival; musulmans et chrétiens, sunnites et polythéistes ont
chacun, à son heure, goûté, comme dirait un Arabe, du poignard
des shiites, les prototypes du carbonaro en Orient. Abdel-Aziz
allait maintenant apprendre que l’on ne doit pas dédaigner les
sectes secrètes de l’Orient.
Un fanatique, originaire de la province de Ghilan, pays dans
lequel six siècles auparavant Abdel-Kadir s’était fait rendre par
ses disciples enthousiastes des honneurs presque divins, s’offrit
pour l’oeuvre de sang. Après avoir reçu ses instructions à Téhéran,
il partit pour Meshid-Hoseyn, ville sacrée de la dévotion
shiite. Il y reçut, avec l’absolution écrite de tous ses péchés, un
papier signé et scellé, qui lui assurait la jouissance des joies
éternelles, s’il réussissait à purger la terre du tyran nedjéen.
Muni de ce document soigneusement fixé comme une amulette
autour du bras, il se rendit à Dereyah, déguisé en marchand, et
y attendit l’occasion de mériter la récompense promise à la
trahison.
Wahabite sincère, Abdel-Aziz ne manquait pas un seul jour
d’assister aux prières publiques dans la grande mosquée de la
ville. Là, sans armes et absorbé par les pratiques de piété qui
ne permettent pas de jeter un regard autour de soi, il pouvait
être facilement immolé. Le Persan ne l’ignorait pas. Quand un
séjour de plusieurs semaines et l’observation scrupuleuse des
rites orthodoxes lui eurent gagné la confiance des habitants,
il se plaça pendant la prière du soir derrière Abdel-Aziz, et
au moment où le sultan se prosternait pour l’adoration, il lui
plongea dans le corps la lame aiguë d’un poignard khorassan.
L’acier pénétra entre les épaules et ressortit du côté opposé ;
Abdel-Aziz expira sans pousser une plainte, sans faire un mouvement.
. ,
Les assistants saisirent leurs épées qu’ils avaient déposées
pendant la prière et fondirent sur le meurtrier. Le Persan se
défendit avec l’énergie du désespoir; de son arme teinte encore
du sang royal il tua trois ou quatre des assaillants. A la fin il
succomba sous le nombre, et fut littéralement mis en pièces
dans le sanctuaire. On trouva sur lui l’engagement écrit signe
par le gouverneur de Meshid-Hoseyn I et Abdallah, qui devenait
maintenant sultan du Nedjed, jura qu’il vengerait la mort de
son frère sur la ville qui avait soudoyé son assassin.
Ces événements eurent lieu d’après les dates approximatives
que j’ai pu recueillir, vers 1805 ou 1806. Abdallah dès lors exerça
seul le pouvoir royal; son frère Khalid, etTheneyan, fils d’Abdel
Aziz, non plus que les autres membres de la famille, ne
prirent aucune part au gouvernement. Khalid laissa un fils
nommé Meshari, qui devint plus tard l’assassin de Turki; nous
reviendrons sur ces personnages dans le cours de notre relation;
en outre nous aurons à parler d’Ebn-Theneyan, et d’un autre
Khalid, neveu d’Abdallah.
Le frère d’Abdel-Aziz avait hérité de l’intelligence de Saoud et
de sa force de volonté; mais il y joignait les vices ordinaires à
ceux qui sont nés dans la pourpre ; il était despote, cruel, perfide,
hautain à un degré rare, même en Orient, et d’une bigoterie
excessive. Les traits odieux qui composent d’ordinaire le portrait
d’un autocrate mahométan, l’orgueil, l’indifférence pour l’effusion
du sang, le mépris des souffrances humaines, une prodigalité
folle unie à une oppression sans limites, une cruauté capricieuse
et une clémence qui ne l’était pas moins, tous ces
vices se développèrent dans le coeur d’Abdallah, et laissèrent
l e u r empreinte sur les mesures de son règne.
A peine avait-il rendu les derniers devoirs à son frère qu il
s’occupa de tenir son serment de vengeance contre Meshid-Ho