
Nedjed, renfermée dans le château, refusa d’accepter les conditions
de son rival. Privé de tous les engins qu’un siège exige
Feysul ne pouvait songer à prendre d’assaut le palais ; il dut se
contenter d’établir un blocus rigoureux. Pendant un mois entier
le Nedjed eut deux rois; Feysul renouvelait chaque jour ses sommations,
Ibn-Theneyan répondait qu’il abandonnerait le trône
seulement avec la vie.
Un soir, peu de temps après le coucher du soleil, l’usurpateur
errait silencieusement dans les longues galeries du château ; un
étroit guichet lui permit de voir sans être vu plusieurs de ses
officiers réunis dans une petite chambre, et parlant avec une
grande animation. Ebn-Theneyan s’approcha pour entendre, et,
comme il arrive toujours en pareille circonstance, n’entendit rien
de flatteur. « Dieu, disaient les conjurés, avait abandonné le
petit-fils d’Abdel-Aziz; il fallait seconder enfin les desseins delà
Providence, livrer le palais à Feysul, et s’assurer les bonnes
grâces du roi en lui offrant la tête de son ennemi. » Ebn-Theneyan
comprit qu’il était irrévocablement perdu; profitant des
ténèbres, il s’enfuit par la porte secrète et arriva auprès des
remparts de la ville; mais, abattu par le désespoir, il ne chercha
pas à gagner la campagne. Près de lui se trouvait la maison d’un
noble wahabite, Ebn-Soweylim, celui -là même qui périt quelques
années plus tard sous les coups des zélateurs, Ebn-Theneyan
entra dans le khawah, s’assit en silence, et se voila le visage.
« Ebn Theneyan! est-ce vous? » s’écria l’hôte étonné de cette
visite inattendue. Le fugitif ne répondit pas. « Yenez-vous demander
protection? » demanda Ebn Soweylim, car en Arabie le
caractère de suppliant ou mudjir est tellement sacré que nul ne
peut refuser son assistance à celui qui l’implore. L’orgueil du
malheureux prince se révolta. « Non, » répliqua-t-il. « Quel motif
alors vous amène? » Un mot aurait sauvé Ebn Theneyan, il
garda le silence. Pour la troisième fois, le maître du logis renouvela
sa question, ce fut en vain.
Ebn Soweylim avertit Feysul que l’usurpateur était en son
pouvoir. Des soldats, envoyés en toute hâte, trouvèrent le fugitif
assis dans la même posture; ils s’emparèrent de lui et l’amenèrent
devant le monarque légitime. « Viens-tu réclamer mon
indulgence? » demanda Feysul, prêt à se laisser désarmer.
« Non, répondit fièrement le petit-fils d’Adbel-Aziz. Se tournant
alors vers les assistants : « Je vous prends tous à témoin, s’écria
le roi, que Dieu m’a livré le traître sans aucune condition! » 11
entra triomphalement dans le palais et fit jeter son infortuné
cousin dans « la chambre du sang, » où il mourut quelques
jours après, de désespoir, disent les uns, par l’effet du poison,
prétendent les autres. Son corps repose auprès de celui de Turki
dans le grand cimetière de Riad ; quant aux membres de sa famille,
ils s’enfuirent dans l’Afladj, et ils y sont demeurés jusqu’à
ce jour.
L’autorité de Feysul paraissait fermement établie dans toute
l’Arabie centrale. Mais l’Hasa refusait de se soumettre et l’Oman
avait secoué le joug wahabite. Dans le nord-est, les belliqueuses
tribus des Adjman avaient pris les armes; les Benou-Hadjar, les
Benou-Khalid s’étaient joints à elles, et les forces réunies des
nomades menaçaient le Nedjed. En un mot, Feysul se trouvait à
la tête d’un empire amoindri, qu’ébranlaient jusque dans ses
fondements de longues et fréquentes rébellions.
Le sultan, plus habile à se servir des armes diplomatiques
qu’à combiner un plan de bataille, n’aimait pas la guerre; de
plus, une ophthalmie contractée pendant son séjour en Egypte,
menaçait de lui faire perdre la vue. Plusieurs de ses compagnons
d’exil étaient déjà frappés de cette infirmité que les Nedjéens,
dans leur inj ust-; ressentiment contre leurs ennemis, attribuaient
à l’effet d’un poison lent administré par ordre du vice-roi.
Toutefois, si Feysul n’avait pas les qualités d’un capitaine, son
fils aîné, Abdallah, pouvait suppléer amplement à ce qui lui
manquait d’énergie militaire. Quels que soient les vices de ce
prince orgueilleux, dissolu, perfide et cruel, on ne saurait sans
injustice refuser de louer son courage et de lui reconnaître une
habileté de tactique fort rare chez un Arabe. Feysul se consacra
donc exclusivement à l’administration intérieure de l’empire,
tandis qu’Abdallah se chargeait des expéditions guerrières.
La première fut dirigée contre les Adjmans. Leur nombreuse
armée, bien pourvue d’armes et de munitions, s’était rassemblée
près de Koweyt, d’où elle s’apprêtait à envahir le Nedjed.
Pleins d’une présomptueuse confiance, ils s’imaginaient remporter
une victoire facile. Mais Abdallah fondit sur eux à l’impro-
viste ; suivi seulement de trois cents cavaliers, il attaqua leur
avant-garde qu’il rejeta en désordre sur les corps du centre. Le