
a son bord ne se démentit pas un instant pendant toute la traversée;
nous n’eûmes également qu’à nous louer des passagers
qui, pour la plupart, venaient de Lucknow ou des environs.
. Le vaisseau était propre, bien tenu et solidement construit,
circonstance fort heureuse pour nous, car nous eûmes à essuyer
une tempête peut-être plus violente que celle qui avait fait
couler bas notre vieux navire omanite. Mais je n’étais guère en
état de remarquer ce qui se passait autour de moi ; le mal dont
j éprouvais depuis plusieurs jours les symptômes précurseurs
se déclara dès le début du voyage. C’était la fièvre typhoïde. Un
Hindou qui 1 avait contractée en même temps que moi sur le rivage
brûlant de Mascate, mourut avant la fin de la traversée. Les
marins et le capitaine ]u;-même me soignèrent de leur mieux,
et c’était sans doute un grand soulagement pour moi d’avoir à
mon chevet ces visages sympathiques; mais ils n’avaient guère
à me donner d’autres secours que de bonnes paroles, car la
maladie est un cas rarement prévu à bord des bâtiments arabes.
Enfin, nous jetâmes 1 ancre devant Abou-Shahr, et des matelots,
conduits par Yousef, me portèrent sur leurs épaules jusqufà la
demeure d’Abou-Eysa. Le guide croyait que nous avions péri
dans la tempête qui avait englouti tant de navires pendant la
nuit du 9 mars ; Barakat s’était déjà rendu à Bassora, et de là, à
Bagdad où il m attendait, n ayant pas encore appris notre naufrage.
La nouvelle de la chute d’Oneyzah et du triomphe des Waha-
bites, qui venait de se répandre dans la ville d’Abou-Shahr,
préoccupait beaucoup les esprits ; mais la fièvre, maintenant,
dans toute sa violence, ne me laissait pas assez de liberté d’esprit
pour m’occuper de ces graves événements ; j ’étais presque constamment
plongé dans l’état de demi-délire qui caractérise ce
genre de maladie. Le steamer de Bombay arriva le 18 avril et
comme Abou-Eysa ne pouvait retarder davantage le départ'de
la caravane qu’il était chargé de conduire à La Mecque, on me
transporta sur le navire anglais qui se rendait à Bassora. Arrivé
dans cette ville, on me remit aux mains du capitaine Selby, officier
de la marine de l’Inde. Grâce à sa généreuse bonté, à l’intérêt
particulier que je lui inspirais en qualité de compatriote, je
fus entouré de soins intelligents et assidus, et j ’échappai ainsi à
une mort imminente, plus heureux qu’un grand nombre de mes
devanciers, dont les explorations et la vie se sont terminées
par une même catastrophe. Il nous fallut sept jours pour remonter
le Tigre, qui était alors grossi par les pluies du printemps;
le huitième, nous débarquâmes à Bagdad, où l’hospitalité
du capitaine Selby et celle de quelques amis, Anglais,
Suisses et Français, me rendirent, sinon complètement la santé,
du moins assez de forces pour continuer sans crainte mon voyage.
Quelques jours plus tard, je retrouvais le bon et fidèle Barakat,
qui témoigna, en me revoyant après tant de périlleuses aventures,
une joie plus facile à imaginer qu’à décrire. On venait
d’apprendre à Bagdad la tempête de mars, et les marchands de
la ville, dont les intérêts étaient liés à beaucoup d’entreprises
maritimes, m’accablèrent de questions sur le sort des navires
qui avaient essuyé cette terrible tourmente.
Nous retournâmes en Syrie par Kerkouk, Mossoul, Mardin.
Diarbékir et Orfa. C’était une route nouvelle pour moi, et par
conséquent pleine de charmes; mais eUe en aurait peut-être
moins pour le lecteur, car des relations, écrites avec plus de
talent que la mienne, lui ont sans aucun doute déjà rendu familière
cette partie du monde. Là nouveauté seule peut mériter
quelque indulgence au tableau bien imparfait que j ’ai tracé de
l’Arabie et de ses habitants. Bien des choses restent à dire sur
ce riche et curieux pays; je laisse le soin de les faire connaître
à un voyageur plus heureux que celui qui adresse aujourd’hui
au lecteur un adieu cordial.