
vanche, nul ne les égale en Orient sous le rapport de l’adresse
manuelle; les artisans de toute sorte, forgerons, armuriers, sculpteurs
sur bois, tisserands, teinturiers, excellent dans leurs différentes
professions, où ils déploient un goût artistique trop souvent
étranger à l’Europe. La médecine et la science sont aussi
en arrière qu’il est possible de l’imaginer. Quant à l’agriculture,
la pauvreté du sol entrave ses progrès; les productions de
Bahraïn, si l’on en excepte ses énormes citrons, sont moins que
médiocres. L’humidité rend là végétation abondante, mais la
qualité laisse beaucoup à désirer. Ainsi, l’île est remplie de magnifiques
dattiers qui donnent des fruits détestables.
Il me reste à dire quelques mots des richesses du règne animal
: les chameaux ont été importés de la côte arabe; les pauvres
bêtes paraissent malheureuses, l’humidité du sol n’étant pas
appropriée à leur constitution. Les boeufs et les vaches sont
en grand nombre, quoique maigres et fournissant une viande
de qualité très-inférieure. Il y a peu de moutons dans l’île;
quant aux ânes, comme il arrive souvent dans de.semblables
conditions, ils réussissent beaucoup mieux que les bestiaux. Les
poissons de toutes sortes abondent sur les côtes, je ne sache
pas de pays au monde qui soit aussi richement doté par la
nature sous ce rapport. Ils forment la principale nourriture des
habitants, et l’on peut dire que le carême dure ici toute l’année.
Cette denrée coûte à peine un vingtième du prix qu’il faut la
payer sur la côte de Syrie, à Beyrouth ou à Seyda, par exemple,
et son excessif bon marché contribue encore à faire négliger
l’élève du bétail. Bref, Bahraïn est fille de l’Océan, et l’Océan sera
toujours son meilleur nourricier.
Le gouvernement actuel de l’île ne mérite qu’une estime
médiocre. Avant la première invasion wahabite, Bahraïn avait
atteint un degré de prospérité auquel elle n’a pu remonter
depuis, si nous en croyons la tradition locale, que confirme du
reste le témoignage muet de maisons en ruines et de khans renversés.
Les absurdes entraves, la politique inflexible des sectaires
nedjéens ont eu pour effet immédiat de détruire le commerce et
d’éloigner les marchands. Quand enfin, vers 1818 ou 1819, l’île
fut délivrée de l’oppression étrangère, et attirée dans le mouvement
progressif de l’Oman, elle recouvra en partie son ancienne
activité, jusqu’au moment où des désordres de famille survenus
parmi ses chefs, déterminèrent une intervention de la Perse et
plus tard du Nedjed, ce qui mit un nouvel obstacle à ses progrès.
Le caractère personnel du vice-roi a beaucoup aggravé les maux
du pays. Ce gouverneur est un parfait sybarite, qui chaque
quinzaine prend une femme à l’essai pour ainsi dire ; chaque
quinzaine aussi voit un nouveau divorce, suivi d’un nouveau
mariage, le tout accompagné d’une grande pompe, de frais considérables,
de prodigalités excessives pour pensionner les anciennes
amours et acheter les nouvelles; sans parler de la scandaleuse
publicité donnée à ces transactions dont les turpitudes
auraient fait rougir Messaline elle-même. Mohammed ne paraît
pas songer le moins du monde au bien-être de ses sujets; aussi
imprévoyant, aussi impolitique que Charles II, il a tout fait, par
ses envahissements au dehors, ses exactions à l’intérieur, pour
ruiner son pays et réduire ses sujets à l’expatriation. Le waha-
bisme, sans force pour améliorer les moeurs, tout-puissant pour
fausser les esprits, exerce une large influence dans la capitale
et concourt à augmenter la misère du peuple. Les « saints »
ont vu avec une vértueuse indignation les abominations des
Shiites et le polythéisme indien toléré si près de leur terre
bénie. Une petite colonie de Juifs, dont la présence dans une
ville peut être regardée comme le thermomètre de son bien-être,
s’est trouvée en butte à de telles vexations que les malheureux
ont été obligés d’aller chercher ailleurs moins de théologieet plus
de bon sens. Les Banians ont été aussi plusieurs fois sur le point
de prendre une semblable résolution. Enfin les indigènes eux-
mêmes ont émigré et émigrent chaque jour, portant la richesse
dans les ports de mer où ils vont s’établir, appauvrissant leur
ancienne patrie. De Mascate à Bassora, les deux rives du golfe
Persique sont,—à l’exception de Barr-Faris,—littéralement peuplées
par les habitants de Bahraïn,' marchands, boutiquiers,
artisans, pêcheurs, journaliers; une colonie de deux ou trois
cents d’entre eux a fait depuis quelques années de la petite
île de Djes, qui était auparavant inhabitée, l’un des points
commerciaux les plus importants de ces mers. Mais c’est sur le
territoire omanite, l’État le plus avancé peut-être de l’Orient, au
moins sous le rapport de la tolérance, que les exilés de Bahraïn
ont trouvé asile et protection.
Si par sa conduite envers ses sujets, Mohammed-ebn-Khalifah