
la capitale, l’or et la soie profanaient de leur éclat réprouvé le
costume des Nedjéens; il ne fallait pas chercher ailleurs les
causes de Ta colère divine, le erime était notoire, le châtiment,
un acte de justice. Le meilleur remède pour combattre le fléau
qui dévastait le pays était donc une prompte réforme, un retour
sincère à la ferveur et à- l'intolérance des anciens jours.
Feysul convoqua les notables de la ville, et leur tint un discours
dont je ne veux pas fatiguer le lecteur, quoique j ’en aie
eu bien souvent les oreilles rebattues. H roulait principalement
sur ces interprétations arbitraires des voies de la Providence qui
sont communes à tous les temps et à tous les pays, sans être
pour cela ni sages, ni justifiables. La conclusion était que les
Wahabites avaient commis de grandes fautes, permis de monstrueux
scandales, qu’ils avaient laissé l’or pur se changer en
un plomb vil, qu’ils devaient au plus tôt s’éprouver eux-mêmes
et abjurer l’iniquité. Le monarque ajoutait que vieux et infirme
comme il l’était, il ne saurait agir avec Pénergie que demandait
la gravité du mal ; il se déchargeait donc sur ses. conseillers de
l’obligation qui lui était imposée par sa conscience, et il les
rendait responsables, devant le Dieu du Coran,, des ravages que
le choléra continuerait sans- nul doute à exercer dans le pays,
si ses avis étaient négligés.
Le docte aéropage se retira, tint une longue conférence et proposa
les moyens suivants, qui reçurent l’approbation royale.
Vingt-deux membres, choisis parmi les plus fervents Wahabites,
formeraient un conseil auquel Feysul confierait des pouvoirs
absolus pour extirper l’impiété, d’abord à Riad, puis dans tout
l’empire. On réunit bientôt le nombre de candidats suffisant, et
les hommes investis de ces augustes fonctions reçurent le nom
de « Weddeyites » ou * Zélateurs. » Jamais censeur romain, dans
les meilleurs jours de la République, n’exerça une autorité plus
absolue, plus élevée au-dessus de tout contrôle. Non-seulement
les zélateurs devaient dénoncer les coupables, mais ils pouvaient
aussi, toutes lés fois qu'ils le jugeraient à propos, appliquer
eux-mêmes la peine prononcée ; la nation entière fut mise,
corps et bien, à leur merci, aucune autre limite que leur appréciation
personnelle n’étant fixée-pour l’amende et la bastonnade.
Ne pas assister cinq fois par jour aux prières publiques, fumer,
priser, mâcher du tabac (ce dernier usage avait été introduit par
les joyeux matelots de Koweyt et des autres porfs de mer), porter
de la soie ou de l’or, parler ou avoir de la lumière dans sa
maison après l’office du soir, chanter, jouer de quelque instrument
de musique, jurer par un autre nom que celui de Dieu, en
un mot, tout ce qui semblait s’écarter de la lettre du Coran et
du rigide commentaire de Mohammed-Abdel-Wahab devint un
crime sévèrement puni. La censure s’attaqua même aux moindres
indices qui pouvaient faire soupçonner une conduite irrégulière,
elle défendit, sous les peines les plus graves, de sortir
après la tombée de la nuit, d’entrer trop fréquemment dans la
maison d’un voisin, surtout quand les hommes en étaient
absents. Il est aisé d’imaginer ce qu’allait devenir un pouvoir
aussi étendu entre les mains de fonctionnaires cupides ou
vindicatifs. Bien que les fâcheuses conséquences de cette autorité
sans limites fussent un peu amoindries par la résistance
passive du caractère arabe, j ’ai entendu raconter plus d’un
exemple des abus atroces auxquels se livrèrent ces impitoyables
puritains.
Un costume d’une simplicité excessive est imposé aux zélateurs,
ils ne peuvent même pas porter l’épée à laquelle ont droit
les employés civils ou militaires. Par compensation, chacun
d eux tient à la main, comme le policeman anglais, un bâton
qui est un insigne autant qu’un instrument de correction; en
outre leurs yeux baissés, leur marche lente, leur tête couverte
jusqu’aux yeux par une sorte de capuchon, et la gravité imperturbable
de leur maintien les. font distinguer du premier coup
d’oeil au milieu de la foule. Leur conversation, accompagnée des
mouvements de l’index qu’ils lèvent en l’air à chaque minute, à
tout propos et hors de propos, pour attester l’unité de Dieu, est
aussi plus nourrie d’exclamations et de textes pieux que celle des
fidèles ordinaires. Allant de quartier en quartier, entrant dans
les maisons sans être attendus, afin de voir s’il ne s’y passe
rien de répréhensible, ils n’hésitent pas à infliger séance tenante
la peine du fouet au coupable quel qu’il puisse être ; ils mettent
même en réquisition les passants qui les aident à coucher le
délinquant sur le sol pour lui administrer le châtiment. Les
Nedjéens qui n’assistent pas aux prières publiques avec toute la
ponctualité désirable sont exposés à subir une semblable punition;
le zélateur du quartier, escorté d’une troupe de justes,