
mérite, trompés par les heureuses exceptions qu’ils ont eues:
sous les yeux, ont commis une étrange méprise; ils ont lait honneur
au Coran des vertus qui existent en dépit de son influence,
ils ont loué l’islamisme pour des résultats qui proviennent au
contraire d’une réaction contre ses doctrines ; en un mot, ils ont
pris pour la règle de rares anomalies, ils ont confondu le principe
avec ce qui en est la négation formelle. On pourrait avec autant
de justice attribuer à Charles Ier l’abolition de la Chambre étoilée1
ou l’acte de YHabeas corpus aux scrupules de Charles II.
Dans les contrées soumises au mahométisme, l’esprit humain
s’est souvent révolté contre la doctrine du Coran ; l’antagonisme
de la religion et de la conscience a donné lieu, tantôt à d’admirables
efforts, tantôt à de monstrueux excès. C’est la loi de toute
réaction physique ou morale. Mais il est juste de reconnaître
que, dans les pays musulmans, ce qui mérite nos éloges est l’oeuvre
d’une tendance hostile à l’islamisme, tandis que les vices
odieux qui trop fréquemment souillent les meilleures qualités
natives sont l’inévitable résultat de la dégradation produite par
un joug avilissant. Les hommes ne naissent pas avec les instincts
de la brute, c’est l’éducation qui les leur donne parfois.
Nous avons déjà constaté dans la Péninsule quelques effets
d’une réaction inévitable contre le Coran. Il nous reste à en observer
d’autres beaucoup plus caractéristiques. Mais le lecteur
pense peut-être que, pour le moment, nous nous sommes suffisamment
étendus sur cette question; je me hâte doncde regagner
notre khawah, où le café nous a conduits à parler du vin, et le
vin à examiner toute la théorie du mahométanisme.
Après avoir terminé notre installation, nous nous occupâmes
de régler l’emploi de notre temps et de répartir entre nous les
différents rôles. Abou-Eysa fut chargé des affaires extérieures ;
il nous apportait les nouvelles de la ville et de la cour, cherchait
à nous concilier les bonnes grâces des grands, vantait partout
notre talent médical. Barakat eut le département du ménage,
il faisait chaque jour les approvisionnements, cuisinait
même au besoin, mais jamais il ne préparait le café, notre guide
1. Cour de justice qui siégeait dans une salle ornée d’étoiles d’o r; elle jugeait
sans le concours d’aucun jury et sur la déposition d’un seul témoin; aussi devint-
elle un instrument terrible entre les mains d’Henri VIII et d’Êlisabefcb. Le Long-
Parlement l’abolit en 1645. (Note du traducteur.)
s’étant exclusivement réservé une opération qui avait à sesyeux
une si grande importance. Pour moi, en ma qualité de savant
Esculape, je recevais les malades, pesais les drogues, et m’effor-
çais d’avoir un extérieur plus grave qu’aucun des sept sages delà
Grèce.
Les clients ne nous manquèrent pas. Toutefois, avant de présenter
au lecteur la foule bigarrée qui assiège notre porte,
avant de raconter les étranges intrigues dont nous fûmes té--
moins et dont je faillis devenir victime, qu’il me soit permis de
faire dans la ville une promenade matinale, afin d’étudier à
loisir la capitale wahabite.
Le jour vient de paraître; c’est l’heure où les modestes plébéiens
comme nous vaquent à leurs affaires, tandis que la classe-
aristocratique est encore plongée dans le sommeil ; car le roi,
la cour, tous les dévots Nedjéens se lèvent à la clarté des
étoiles pour lire le Coran et réciter des prières en particulier;
puis ils vônt à la mosquée entendre l’office nocturne que prolonge
outre mesure quelque sombre zélateur ou quelque morose
metowa; après quoi ils retournent chez eux prendre deux
ou trois heures de repos, en attendant que le soleil se soit
élevé à une hauteur suffisante au-dessus de l’horizon, et que
les prières les appellent de nouveau dans le temple. Mais
ceux que n’anime pas une aussi grande ferveur sont déjà
dans les rues, respirant à pleins poumons l’air pur du matin
rafraîchi par un léger brouillard.
Nous voulions acheter des dattes, des oignons et du beurre,
produits pour lesquels l’Ared jouit d’une réputation méritée.
Les dattes sont ici d’espèces fort variées; les connaisseurs recherchent
les rouges, il y en a cependant de jaunes qui coûtent
peu et ont un goût exquis. Quant aux oignons, je n’en ai jamais
vu ailleurs de semblables, ni pour la grosseur ni pour la qualité.
C’est grand’pitié que les anges de l’Islam n’en approuvent pas
l’usage ; les dévots wahabites ne peuvent manger ces excellents
légumes qu’à la condition de se rincer aussitôt la houche et de
se laver les mains, surtout si l’heure de la prière approche;
sans cela l’odeur profane obligerait les esprits célestes à s’éloigner
et rendrait ainsi le culte incomplet, les adorations sans
mérite. Heureusement la potasse abonde à Riad, et du reste
tous les habitants ne sont pas des fidèles fervents. Le beurre,