
Les le ctures d’Ahdallah lui avaient appris à connaître les propriétés
toxiques de plusieurs médicaments, en particulier de la
strychnine; sans avoir jamais entendu parle r des exploits de nos
grands criminels européens, il était, parfaitement capable de les
imiter. 11 avait appris le 17 novembre la cure passagère qui faisait
l'admiration de la ville; le lendemain il m’envova chercher,
me témoigna le regret que causait, ma résolution de qu itter la
ville et me p ria de lui laisser a u moins, — p o u r le plus grand
avantage des habitants de H ¡ad, — quelques-uns de mes médicaments,
surtout, le remède qui venait, de d éterm in e r une si
prompte guérison.
En vain je lui représentai que les drogues pharmaceutiques,
entre des mains inexpérimentées, sont inutiles et même dangereuses;
Abdallah rejeta mes excuses et finit par dire que je pouvais
garder mes autres médicaments si bon me semblait, mais
qu'il lui fallait de la strychnine, et qu’il la payerait n’importe
quel prix.
Ses intentions devenaient évidentes; néanmoins, feignant de
ne pas comprendre son projet infernal, j ’insistai sur les propriétés
dangereuses de la substance qu’il me demandait. Le
prince n’osa s’expliquer plus clairement et me laissa partir.
Le lendemain, il revint à la charge, sans obtenir plus de
succès. Enfin, dans une troisième entrevue, qui eut lieu le
20 novembre, il avoua qu’il avait résolu de se défaire d’un ennemi,
me pressa de lui remettre le poison et déclara qu’il n’admettrait
ni retards, ni faux-fuyants.
Il était en ce moment assis au fond du khawah, je me tenais
auprès de lui, de sorte que les serviteurs réunis à l’autre bout
de la pièce, ne pouvaient entendre nos paroles. Je jetai un re gard
autour de moi pour m’assurer qu’aucun d eux ne s’était
rapproché, puis, quand un nouveau refus de ma part eut été
suivi d’une demande plus formelle encore, je me penchai vers
l’orefiîe d’Abdallah, et lui dis avec fermeté : « Je sais à qui vous
destinez ce poison; je ne veux pas devenir le complice de vos
crimes et en répondre devant Dieu. Yous n’aurez pas ce que
vous demandez. =»
Son visage devint littéralement noir et gonflé de rage; jamais
je n ’ai vu d’homme qui ressemblât si parfaitement à un démon.
Il hésita un moment, puis maîtrisant sa fureur, il se m ita par-
1er de choses indifférentes. Quelques minutes après il se leva et
je retournai à ma demeure.
Abou-Eysa, Barakat et moi, nous tînmes alors conseil pour
examiner ce qu’il y avait à faire. J’avais encouru la haine du
prince, cela était certain, il ne fallait pas attendre qu’elle
éclatât. Cependant nous nous exposions à de graves périls si nous
quittions Ri ad trop précipitamment, et sans en avoir obtenu
l’autorisation. Nous jugeâmes qu’il valait mieux attendre quelques
jours, éviter d attirer sur nous l’attention, faire nos adieux
au palais, obtenir de Mahboub quelques paroles favorables, —
ce qui n’était pas difficile, — puis disparaître sans bruit. Mais la
Providence en avait ordonné autrement.
Le lendemain, à une heure assez avancée de la soirée, nous
nous entretenions des préparatifs de notre voyage avec des
amis, bons compagnons qui n’avaient aucune horreur de la
fumée du tabac, quand un coup frappé à la porte annonça 1 arrivée
d’Abdallah, non le prince, mais son homonyme et son serviteur
de confiance. * Qui vous amène à une pareille heure? »
demandai-je, peu charmé de celte visite inattendue.
« Le roi, — on donne déjà ce titre à l’héritier du trône, —
m’envoie vous chercher, » répondit-il d une voix brève.
« Barakat doit-il m’accompagner?
Non, c’est vous seul que le roi demande.
— Faut-il emporter mes livres?
— Cela n’est pas nécessaire.
Attendez au moins quelques minutes que nous vous
préparions une tasse de café. »
Aucun Arabe ne peut refuser une pareille offre sans manquer
à la politesse la plus élémentaire. Je profitai du répit qui m’était
accordé pour échanger quelques paroles rapides avec Barakat et
Abou-Eysa. Il fut convenu que mes amis congédieraient nos visiteurs
et se tiendraient prêts à tout événement, cette nocturne
ambassade nous paraissant cacher une menace, peut-être un
danger. Pourtant, comme mon compagnon n’avait pas été
mandé avec moi, je pensais n’avoir à craindre aucune violence
immédiate.
Je suivis avec le royal messager les rues sombres et silencieuses
conduisant au palais d'Abdallah. Quand nous y fûmes
arrivés, mon g u i d e parlementa quelques instants avec les gardet,