
entre Barr-Fâris et Shardjah, où nous voulions nous rendre;
aussi nous donna-t-on le conseil de nous embarquer sur un bâtiment
de Chiro, qui était alors mouillé dans le port de Charak,
et près d’appareiller pour Lindja ou Linya, afin de l’appeler par
le nom qu on lui donne ici ; car la prononciation vicieuse des
habitants de la côte change le dj dur en y : Mesdjid se transforme
en Mesyid, Adjman en Ayman, etc. Lindja est située sur la
même côte que Charak, à une vingtaine de milles vers l’est, et
de ce port il nous serait facile de nous rendre à Shardjah. Le
capitaine du bâtiment de Chiro, marin à la figure vermeille,
vint nous voir le soir même à notre logis et nous traitâmes pour
notre passage.
Le lendemain 10 février, comme j ’allais de bonne heure me
baigner dans les eaux limpides de la mer, — la natation n’eût
pas été facile sur les rives vaseuses du Katar, — je faillis être
blessé par l’aiguillon d’une grande raie, que j ’aperçus tout à
coup près de moi et que j ’eus à peine le temps d’éviter. Poulpes,
requins, orties de mer, et autres monstres marins fourmillent
dans le golfe, de sorte que, sur les côtes du Barr-Faris, un nageur
doit avoir la prudence de regarder au fond de l’eau avant
de plonger.
Nous nous rendîmes à bord vers midi et bientôt le navire mit
à la voile pour Lindja. Nous avions pour compagnons de voyage
plusieurs habitants de Charak fort silencieux, bien vêtus et en
apparence plus riches de monnaie que de paroles. J ’ai observé
què les indigènes de cette côte sont presque tous ennuyeux et
graves, qu ils causent peu et n’ont pas l’esprit très-ouvert.
Nous sortîmes du port et au coucher du soleil nous doublâmes
le cap Bostanah, près duquel nous aperçûmes deux ou trois
villages pittoresques, tandis que les rivages sombres et vaporeux
de l’île Farour, récif volcanique peu différent d’Haloul,
surgissaient au loin vers le sud à la surface du golfe. La mer
étincelait de lueurs phosphorescentes, la lumière jaillissait
de chaque ride des eaux et de larges masses de brillants animalcules
flottaient au milieu des vagues, pareils à des globes
de feu. Je demandai à nos compagnons de voyage s’ils connaissaient
la cause de ce phénomène ; les dignes wahabites
répondirent avec le plus grand sérieux qu’il était produit par les
flammes de 1 enfer, situé, d’après la théologie nedjéenne, juste
au-dessous du golfe. Je m’informai' encore si la voûte des
régions infernales était transparente, si par hasard elle ne serait
pas en cristal, car sans une telle interposition l’eau pourrait
bien éteindre le feu. Mes interlocuteurs répliquèrent gravement
que l’omnipotence divine ne s’embarrassait guère d’une
semblable difficulté, et que la volonté de Dieu suffisait pour
dispenser de toute recherche ultérieure. Je hasardai une seconde
remarque sur le faible degré de chaleur développée par
l’éternelle combustion qui ne paraît pas avoir le moindre effet
pour échauffer la couche d’eau supérieure; la réponse quq je
reçus ne fut pas moins péremptoire ; l’on m’assura que ce phénomène
était aussi un simple résultat de la volonté divine, et
qu’il n’était pas dû à une absence de calorique dans le feu de
l’enfer. Sur quoi je jugeai prudent d’abandonner ce sujet de
conversation. Je souhaiterais seulement que les écrivains qui
s’évertuent à exalter les hautes conceptions spiritualistes des
mahométans pussent passer quelques mois au milieu des wahabites
de Barr-Faris ou de ceux du Nedjed : une connaissance
plus familière des faits diminuerait sans doute, leur enthousiasme.
Vers minuit, nous arrivions dans la baie de Lindja ; les lumières
qui étincelaient au milieu des eaux ne m’empêchaient
pas de désirer ardemment que le lever du soleil me permît de
reconnaître autour de moi le paysage. L’aube éclaira enfin notre
bâtiment qui était mouillé à quelques centaines de mètres de la
terre ; entre la côte et nous se trouvait une masse de bâtiments
de toutes grandeurs; un amphithéâtre de maisons blanches, encadrées
au milieu des arbres des jardins, bordait au loin le
rivage.
Lindja dépend aujourd’hui du gouvernement omanite, circonstance
heureuse qui est la source de sa prospérité. La côte
persane tout entière, depuis le Ras-Bostanah jusqu’aux frontières
de Djask, appartient au même royaume. Mais les causes de
cette annexion, les résultats qui l’ont suivie, ne pouvant être
compris par ceux qui n’ont pas au moins une idée générale de
l’histoire de l’Oman, je vais résumer en quelques pages les
annales de ce puissant État.