
seyn. Dans ce but, il s’avança vers les rives occidentales de
l’Euphrate à la tête d’une puissante armée. La petite ville de
Koweyt, qui commençait alors à acquérir une certaine importance
commerciale, se trouvait sur le passage des troupes et courait
grand risque d’être détruite ; une soumission opportune et
de riches présents lui épargnèrent le dangereux honneur d’une
visite nedjéenne. Brisant toutes les résistances, Abdallah divisa
ses forces pour réduire Zobeyr, Souk-esh-Sheyoukh, Samowah,
et bientôt il arriva devant la ville de Meshid-Ali, dont il fit immédiatement
le siège. Mais, soit qu’une intervention miraculeuse
du gendre de Mahomet eût, comme l’affirment les shiites,
jeté la consternation parmi les assaillants, soit que les Waha-
bites eussent manqué de l’habileté nécessaire pour battre en
brèche les fortifications, Abdallah fut repoussé avec des pertes
considérables, et dut abandonner la place. Animé d’une rage
nouvelle, il se dirigea par la route du nord vers Meshid
Hoseyn ou Kerbelah, qui était le principal objet de sa haine.
La ville fut prise d’assaut : un massacre général de la garnison
et des habitants apaisa les mânes d’Abdel-Aziz. La tombe réelle
ou supposée du fils de Patime fut détruite, la riche mosquée
qui la renfermait livrée au pillage. J’ai vu moi-même à Riad
différents objets enlevés au sanctuaire de la dévotion persane.
Encouragé par cet exploit, Abdallah résolut de compléter ses-
conquêtes en s’emparant de la cité de Mahomet. Réunissant
toutes les forces du Nedjed, il franchit les frontières de l’Haram
à Meghazil, et peu de jours après il campait devant la Mecque.
La ville, trop faible pour une défense sérieuse, avait jusqu’alors
trouvé dans la vénération universelle dont elle était l’objet une
protection inviolable. Mais les Wahabites considèrent comme
une impiété le respect des tombeaux et tout autre hommage extérieur
rendu à une créature, fût-ce au Prophète lui-même. La
cité sainte tomba au pouvoir d’Abdallah; ses défenseurs, ses
shérifs les plus honorables furent passés au fil de l’épée, les richesses
amassées dans les temples par la dévotion des pèlerins
enlevées ou détruites ; on rendit à la Kaaba sa- simplicité primitive,
et on la protégea contre des profanations futures par
une loi qui en excluait les infidèles, c’est-à-dire quiconque
n’appartenait pas à la secte victorieuse. Cette interdiction cependant
ne s’étendait pas aux caravanes qui prouvaient leur
orthodoxie par un tribut convenable et un hommage pécuniaire;
parfois, il est vrai, un accès de zèle fanatique annulait le charme
magique de l’or, et Abdallah apaisait les scrupules de sa conscience
en ne permettant à aucun Turc, si noble qu il fût, e
souiller les lieux saints par sa présence. La soeur du sultan elle-
même fut obligée de quitter « avec honte et chagrin » les frontières
de la Mecque, sans avoir pu baiser la pierre noire, ni jeter
un caillou dans la vallée de Mina. Plus d’une fois de riches pèlerins
hérétiques furent impitoyablement pillés par les soldats ned-
jéens, heureux de trouver une si excellente occasion de concilier
les intérêts de la terre avec ceux du ciel. Le souvenir de ces
beaux jours vit encore dans la mémoire des Wahabites, et je les
ai entendus plus d’une fois regretter amèrement l’époque des
conquêtes, des violences, du zèle farouche d’Abdallah.
Le vainqueur marcha ensuite sur Médine. Les Arabes racontent
à ce sujet une curieuse légende. Les shérifs et les cheiks
de la Mecque qui avaient échappé au massacre, trouvant qu A -
lah ne vengeait pas assez vite l’offense faite à son temple et à
ses serviteurs, cherchèrent une protection plus efficace et résolurent
d’intéresser directement le Prophète à leur cause. Pour
cela, il fallait q u ’Abdallah, par une injure personnelle, attirât
sur lui la colère de Mahomet. Un matin donc, toutes les vénérables
barbes grises de la Mecque se rendirent en corps à la
Kaaba; là, contemplant la désolation du lieu saint, ils supplièrent
le Tout-Puissant d’inspirer au monarque wahabite la coupable
pensée de profaner Médine et le tombeau du Prophète,
afin qu’il comblât ainsi la mesure de ses iniquités, et méritât le
courroux de l’Élu de Dieu. Leur prière fut exaucée, Abdallah
résolut d’assiéger Médine.
La ville ne pouvait opposer une résistance sérieuse, elle vit
avec horreur le conquérant mettre en pratique la maxime de.sa
secte : » Les meilleures tombes sont celles dont il ne reste aucun
. vestige. » Les sépultures de Mahomet, d’Abou-Bekr et d Omar
furent violées ; les riches offrandes suspendues dans la mosquée
funéraire, enlevées par Abdallah. « Le Prophète est mort, et
je suis en vie, dit-il, ces trésors seront plus en sûreté sous ma
garde que sous la sienne. » On chargea soixante chameaux des
trophées de ce triomphe impie, et on les envoya dans la capitale
du Nedjed.