
tous armés de gourdins, se rend à la demeure signalée, dont ils
se font aussitôt ouvrir les portes. Les récriminations et les coups
pleuvent alors sur le Wahabite peu zélé, dont on cherche à
réveiller la ferveur par les plus frappantes de toutes les raisons.
Quand le maître de la maison est absent, souvent même quand
il a reçu la correction salutaire, les exécuteurs s’assurent de
l’amélioration de sa conduite en s’emparant d’un manteau, d’une
épée, d’un turban, et ils ne rendent pas les objets avant qu’une
assiduité de plusieurs jours à la Mesdjid ait réparé le scandale.
Si quelque téméraire s’avisant d’opposer la force à la force, levait
la main contre la personne sacrée du zélateur, le poignet sacrilège
serait infailliblement coupé. Cependant, lorsque la faute
entraîne la peine de mort ou la mutilation, le crime est porté
devant le tribunal de Feysul, qui ne manque pas de poursuivre
le coupable avec une extrême rigueur.
Armé de pareils pouvoirs et disposant de toute l’autorité du
gouvernement, la nouvelle institution, il est facile de le comprendre,
fit bien son office, et les zélateurs taillèrent sans miséricorde
la plante malade jusqu’aux racines. Le rang et la naissance ne
furent pas une protection contre leur zèle farouche, et les vengeances
politiques ou privées eurent un libre cours. Le frère de
Feysul, Djelouwi lui-même, qui avait plus de cinquante ans, fut
frappé de verges devant la porte du palais pour avoir fumé, et
son royal parent ne put ou ne voulut pas intervenir afin de lui
épargner une ignominie que l’enfance supporte à peine. Sous un
semblable prétexte, Soweylim, premier ministre et prédécesseur
de Mahboub, fut arrêté au moment où il sortait des appartements
du roi, et si cruellement maltraité qu’il expira le lendemain.
Quand les premiers personnages de l’État sont exposés à
de tels châtiments, à quoi les plébéiens ne doivent-ils pas s'attendre?
Il y eut bien des victimes, bien des dos écorchés, des
membres brisés. Le tabac disparut, non pas en fumée cependant,
la soie déchirée joncha les places publiques, ou fut jetée
sur les fumiers ; les mosquées régorgèrent d’auditeurs et les boutiques
devinrent désertes. Après quelques semaines, Riad offrit
un spectacle propre à réjouir l’âme du plus fougueux réformateur.
On étendit à tout le Nedjed les mesures qui avaient produit un
si heureux résultat dans la capitale. De fervents missionnaires,
armés de bâtons et de Corans, et remplis d’une pieuse indignation
contre les déserteurs de la foi, parcoururent les villes et les
villages ; l’Ared, le Sedeyr, le Woshem, l’Yemamah, renoncèrent
à leurs erreurs passées et suivirent l’exemple sanctifiant de
Riad.
Le succès stimulant l’ardeur des nouveaux apôtres, ils résolurent
de signifier aux apostats de l’Harik, aux infidèles du Ka-
sim et de l’Hasa, que Feysul ne tolérerait pas plus longtemps
leurs scandales, et qu’en conséquence ils devaient cacher au
moins sous des dehors décents l’iniquité de leurs coeurs. Une
véritable croisade fut organisée contre le tabac, l’or et la soie.
Mais en dépit des arguments énergiques dont la parole était accompagnée,
les zélateurs n’obtinrent qu’un triomphe partiel.
Une vive opposition éclata dans plusieurs villes, les coups furent
souvent rendus avec usure, et l’on m’a même assuré que
dans un village du Kasim, d’audacieux mécréants tempérèrent
par un bain d’eau froide le zèle de trop fougueux réformateurs.
Force fut de transiger avec l’impiété. On permit, non sans
pousser de profonds soupirs, que la soie entrât pour un tiers
dans les tissus, que le tabac fût vendu et consommé dans les.
provinces sujettes de l’empire wahabite, à la condition toutefois
de ne pas rendre public un crime aussi abominable ; on consentit
à ne pas exiger d’une manière rigoureuse l’assiduité aux prières
et l’on omit prudemment l’appel qui précède l’office dans les
mosquées nedjéennes, afin de ne pas constater le nombre des
absents. Cependant, l’islamisme avait été jusqu’à un certain
point remis en vigueur : Feysul et sa haute cour de justice
durent pour le moment se contenter de ces résultats, en attendant
une occasion favorable.
Le choléra effrayé sans nul doute par la violente explosion de
la sévérité orthodoxe, avait enfin quitté le pays; le zèle des vrais
croyants crut pouvoir se ralentir un peu, même dans le Nedjed
et à Riad. On se garda toutefois de supprimer la nouvelle censure,
palladium qui protégeait le pays contre la colère du ciel, mais
elle fut appliquée avec plus de douceur. Les esclaves chargés
d’infliger' les châtiments aux coupables jouirent de quelques
instants de repos, les visites domiciliaires se ralentirent, on
daigna parfois reprendre avant de frapper et l’on respecta davantage
l’épine dorsale des sujets de Feysul.