
dit Abou-Eysa, Ibrahim Pacha a fait creuser un puits jusqu’à
soixante pieds au moins de profondeur, dans l’espérance de
rencontrer l’eau, mais son attente a été trompée. » L’aride
cavité, aujourd hui à moitié remplie de pierres et de sable,
rappelle encore le souvenir de sa tentative; s’il avait réussi,
la difficulté des communications entre le Nedjed et la côte
orientale serait devenue beaucoup moindre.
Un peu plus loin, nous entrâmes dans ia wadi Farouk.
Cette grande vallée, suivant le phénomène qui se reproduit
presque invariablement en Arabie, pour les plaines comme
pour les montagnes, s’étend dans sa longueur du nord au sud ;
son type général est celui du Dahna, dont elle forme en
que.lquo sorte un rejeton parallèle. Large et profonde, elle
renferme un labyrinthe de collines de sable, au milieu desquelles
les voyageurs sont presque aussi exposés que dans
le Dahna à perdre leur chemin et quelquefois même la vie.
Mais ce qui a surtout donné à la wadi Farouk une réputation
sinistre, c’est la présence des maraudeurs Al-Morrah ou Me-
nasir, tribus avec lesquelles nous ferons, dans la suite de
cette relation, plus ample connaissance. « La bourse ou la vie,
chiens que vous êtes, » voilà l’alternative qui, sur cette route,
est souvent posée aux honnêtes gens par quelque hardi pillard.
Les Wahabites qui exècrent avec raison tous les voleurs,
en faisant, bien entendu, exception pour eux-mêmes, — ont,
à maintes reprises, essayé de purger la wadi des malfaiteurs
qui l’infestent ; ils n’ont pu y parvenir jusqu’à ce jour, et les
Al-Morrah en restent les maîtres.
Vers le coucher du soleil, ayant franchi la dangereuse vallée,
nous commençâmes à.côtoyer les montagnes qui bordent l’Hasa.
L.ar le désert est séparé de la mer par la chaîne abrupte et nue
qui longe presque toutes les côtes de l’Arabie; cette chaîne
part d’Akabah au nord-ouest, suit la mer Rouge, s’étend vers
Aden et Nakab-el-lïadjjar, en face de l’océan Indien, puis elle
atteint le Ras-el-Hadd, et côtoie le golfe Persique jusqu’à son
extrémité septentrionale ou peu s’en faut. Sa hauteur est presque
partout assez faible et ne dépasse guère mille pieds; mais
sur certains points, dans 1 Oman, par exemple, elle atteint une
altitude de six mille pieds au-dessus du niveau de la mer, tandis
que ses sommets s’élargissent pour former un vaste district. En
face de la Wadi Farouk, les montagnes s’élèvent, d’après mes
observations approximatives, à quatorze cents pieds environ
au-dessus du niveau de l’Océan, et à quatre cents pieds au-
dessus du désert, qui serait ainsi lui-même plus haut que le rivage
d’un millier de pieds. Les montagnes contiennent çà et là
du calcaire, mais elles se composent principalement, je crois,
de granit et de grès, avec une faible proportion de quartz et de
basalte. Leurs flancs sont quelquefois creusés en cavernes; et
leur aspect a un singulier caractère d’étrangeté et de désolation.
Depuis quatre jours nous n’avions pas rencontré de puits ; aussi
AbouEysasouhaitait avec ardeur de voir arriver la fin du voyage.
Poussés par un semblable motif, El Ghannam et ses compagnons
qui venaient, non sans peine, de nous rejoindre, pressaient le
pas de leur monture; nous avions fait la paix, et nous gravissions
ensemble les collines dorées par les rayons du soleil couchant.
A la nuit nous atteignîmes les sommets les plus élevés,
appelés Theneyat-Ghar, du nom d’un petit village^enfoui dans
les rochers. De là, nous apercevions les plaines de l’Hasa, auxquelles
les pâles reflets de la lune donnaient l’apparence d’une
vaste mer de lait; après une heure de halte pour le repas du
soir, nous continuâmes notre route au milieu des rocs et des
gorges profondes, jusqu’à ce qu’enfin prenant un sentier sinueux
tracé sur le versant abrupte de la montagne, nous descendîmes
d’une hauteur de mille pieds environ et nous nous trouvâmes
dans l’Hasa.
. Nous aspirions avec joie l’air chaud et humide de la côte, le
sol n’enfonçait plus sous les pas de nos dromadaires, et les pauvres
animaux, qui redoublaient maintenant de vitesse, semblaient
comprendre que leurs fatigues allaient finir. Dans notre
impatience d’arriver à Hofhouf, nous passâmes, sans nous y arrêter,
devant le village de Ghoweyr, situé au pied des montagnes,
et devant celui de Shaabah, qui s’étend à cinq milles de
là. Nous serions tous èn effet entrés avant l’aube dans la capitale,
si un incident assez singulier n’avait retardé la plus grande
partie de nos compagnons.
Nous venions de quitter les rochers qui cachaient à nos yeux,
peut-être pour toujours, le désert et les provinces de l’Arabie
centrale, quand nous aperçûmes sur le revers d’une colline de
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