
Mais 1 espérance du profit peut, comme la misère, produire
de singulières associations. Depuis quelques années, l’audace
des Menasir et des Benou-Yass a été réprimée par l’active énergie
du représentant nedjéen de Bereymah, Ahmed-es-Sedeyri. (Le
lecteur se souvient que son frère, Abdel-Mahsin-es-Sedeyri avait
été notre hôte à Medjmaa.j Les pillards ont rencontré' sur mer
un ennemi plus redoutable encore; le pavillon rouge qu’ils
avaient coutume d’arborer a pâli devant la croix de Saint-
George , et désormais les pêcheurs de perles n’ont aucune violence
à craindre dans le golfe Persique.
J’ai déjà parlé du clan des Al-Morrah, plus nombreux, plus
étendu que celui des Menasir, mais heureusement moins agressif.
Les Bédouins de cette tribu, qui sont attirés dans le Katar
et l’Oman, tantôt par le commerce, tantôt par l’appât du butin,
ne reconnaissent pas la suzeraineté wahabite ; les uns payent un
tribu au sultan omanite, les autres obéissent à des chefs particuliers.
Le climat du Katar est d’une grande sécheresse; l’humidité
qu’apportent les brises de la mer disparaît bientôt devant le
souffle aride du Dahna ; le sol, fort pauvre, se compose de marne
mélangée de sable; de maigres sources approvisionnent les
puits laborieusement creusés dans la couche calcaire; les ja r dins
sont petits et peu fertiles ; je n’ai vu nulle part ni champs
de blé, ni bois de dattiers. L’air, dit-on, est très-malsain; peut-
être les eaux basses et stagnantes qui bordent la côte causent-
elles cette insalubrité.
Tel est l’aspect général du Katar. Dès que nous fûmes entrés
à Bedaa, nous nous dirigeâmes vers le château, antique donjon
entouré de dépendances qui paraissent mieux appropriées pour
recevoir des marchandises que des hommes. Le gouverneur
Mohammed-ebn-Thani, vieillard âpre au gain, habile et rusé,
renommé pour sa prudence autant que pour la bienveillante
familiarité de ses manières, était assis sur des nattes dans la
cour de la forteresse. Il ressemblait plutôt à un avare marchand
de perles qu à un chef arabe. Autour de lui étaient groupés
plusieurs individus dont la peau attestait les fréquents plongeons
qu’ils faisaient dans la mer, tandis que l’habitude de
calculer, les soucis du négoce avaient sillonné leur front de rides
nombreuses. Quant à Ebn-Thani, s’il était, dans toute l’acception
du mot, ce qu’on est convenu d’appeler « un homme pratique,
» il avait su profiter du loisir que lui laissaient ses habitudes
sédentaires pour cultiver son intelligence ; il était versé
dans l’étude de la littérature et de la poésie, dont il aimait à
s’entretenir. Il avait même quelque prétention à la science médicale,
et possédait au moins autant de recettes infaillibles que
les bonnes femmes du comté d’Essex ou du Lancashire. Du
reste, jovial et de belle humeur, il lançait volontiers une plaisanterie,
et chose plus rare, il savait recevoir de bonne grâce
celle d’un autre.
Il me questionna sur le but de mon voyage; je répondis que
je me rendais à Mascate, où je comptais trouver des plantes
médicinales inconnues dans mon pays. Ebn-Khamis, fier du
rôle important qu’il remplissait, grâce aux présents dont il était
chargé, s’assit auprès du gouverneur ; il avait revêtu un manteau
noir tout neuf et un turban de soie que lui avait donnés
Abou-Eysa. Mohammed portait un vieux et sale turban bengali
et une robe dont un épicier de Damas aurait eu honte.
Il témoigna ses regrets de ne pouvoir, faute de place, nous
loger convenablement dans le palais. Après avoir jeté à la dérobée
un regard sur les étroites dimensions de l’édifice et sur les
murs percés de meurtrières, j ’admis pleinement son excuse.
Ebn-Thani avait mis à notre disposition et fait préparer selon la
mode du Katar, un magasin attenant à sa demeure, c’est-à-dire
que, pour unique mobilier, on avait étendu des nattes sur le sol.
Nous exprimâmes notre rèconnaissance d’une hospitalité qu’on
regarde ici comme somptueuse, nous prîmes le café, nous nous
entretînmes quelque temps, puis nous nous retirâmes.
Ebn-Khamis s’était empressé d’ouvrir ses bagages et d’offrir
ses présents. Mais celui qui les recevait, le vieux marchand de
perles, ne se décida pas aussi promptement à délier les cordons
de sa bourse, et huit jours au moins se passèrent avant qu’une
rétribution convenable eût été proposée. Ce délai, qui nous retenait
dans de mauvais logements, était assez désagréable, d’autant
plus que quatre jours suffisent largement pour connaître
ce qu’il y a de curieux dans un pays aussi monotone. Néanmoins,
le temps ne s’écoula pas tout à fait sans profit, car il me donna
le loisir de faire plusieurs excursions dans le voisinage.
La ville de Bedaa n’est pas longue à explorer. Elle possède un