
haute importance ; peut-être veut-il solliciter, — bien en vain,
hélas 1— la clémence de Feysul pour la malheureuse ville
d’Oneyzah; peut-être cherche-t-il à ourdir, de concert avec les
Wahabites, une ténébreuse intrigue contre le shérif actuel de
La Mecque. Quoi qu’il en soit, son attitude annonce la colère et
la haine, il jette autour de lui des regards altiers, mais les Ned-
jéens lui rendent mépris pour mépris, menace pour menace, et
je ne sais de quel côté se trouve l’aversion la plus grande.
Plus loin, nous apercevons un Arabe grand, mince, aux traits
nobles et remarquablement beaux ; bien qu’il soit vêtu avec la
simplicité requise, son costume ne manque pas d’élégance. Il se
nomme Rafla et appartient à la famille des Sedeyri, dont nous
avons raconté l’histoire dans le chapitre précédent, lors de notre
passage à Medjmaa. Le jeune chef, estimé pour son courage
pendant la guerre, sa prudence en temps de paix, est vu de mauvais
oeil à la oour, car on soupçonne la sincérité de son dévouement
à la dynastie régnante. Ces suppositions, je dois l’avouer,
ne sont point dépourvues d’une certaine justesse, et si les zélateurs
apprenaient, comme Abou-Eysa et moi le savons de source
certaine, que les lèvres fines de Rafla aspirent souvent l’impure
fumée de la plante américaine, la disgrâce du Sedeyri deviendrait
plus complète encore. Des contestations de territoire motivent
en apparence son séjour à Riad, mais il est secrètement
chargé par son parent Abdel-Mahsin de s’informer des dispositions
du roi et de savoir si les anciens gouverneurs de Medjmaa
. ont quelque. chance d’être rétablis dans leur pouvoir héréditaire.
Ces hommes qui coudoient maladroitement chacun, et laissent
pendre avec insouciance sur le sol leur manteau dont le bord
usé ressemble à une frange irrégulière, sont les chefs de la
tribu des Oteybah. Pendant l’anarchie qui suivît l’invasion égyp-
tenne, leur clan s’était rendu maître d’une partie du Nedjed;
Abdallah, fils de Feysul, leur déclara la guerre, massacra leurs
guerriers par centaines, enleva leurs chameaux par milliers et
les réduisit à l’obéissance. Pareils aux fantômes de Pope, ils
errent aujourd’hui près des lieux où leur liberté a succombé ; on
les voit parcourir d’un pas traînant les rues de Riad, attendant
« parfois des mois entiers une audience de leur « oncle » Feysul,
. ainsi qu’ils appellent-celui qui leur verse à pleine coupe l’amer
breuvage de l’insulte et de l’oppression. Ce n’est pas qu’ils aient
droit à une grande sympathie ; voleurs et tyrans, ils sont tombés
au pouvoir de voleurs et de tyrans comme eux.
La foule rassemblée sur la place présente encore à nos re gards
un grand nombre de types étrangers que l’on ne manque
jamais de rencontrer à Riad. Ici, ce sont des chameliers de Zul-
phah, dont le costume, grâce à leurs fréquentes relations avec
Zobeyr et Rassora, offre un singulier mélange du décorum ned-
jéen et du laisser aller Shiite ; là, des fils prodigues qui sont
allés, loin de la surveillance paternelle, chercher fortune dans
les ports de Koweyt et qui reviennent aujourd’hui avec des principes
et des manières dignes des matelots de Portsmouth, car
les loups de mer sont les mêmes partout. De maigres colporteurs
yémanites, se rient malicieusement de la roideur wahabite, des
derviches de Kandahar achètent les provisions qui leur sont nécessaires
pour traverser le désert oriental; des mendiants du
Dowasir, plus fanatiques, plus vicieux, plus bornés encore que
les sectaires de l’Ared étalent leur paresse et leur abjection à
eôté de quelques étudiants faméliques qui, doués pour leur malheur
de facultés brillantes, sont venus dans la capitale étudier
le Coran ; la tête remplie de la théologie orthodoxe et l’es-
tomae vide, ils attendent les avares aumônes du palais.
Après avoir contemplé ce tableau pittoresque, nous continuons,
Barakat et moi, notre promenade dans la ville. Riad se
divise en quatre quartiers distincts : celui du nord-est renferme
les résidences de la famille royale, les châteaux des grands dignitaires
et des riches habitants ; les maisons sont élevées, les
rues droites et assez larges; cependant l’air y est malsain, à
cause de l’abaissement du sol. Près de là s’étend le quartier
nord-ouest, qui est le nôtre ; les habitations confuses et irrégulières,
varient de grandeur et d’aspect; là, se réunissent les
•étrangers, les gens à réputation suspecte, toujours si nombreux
dans les grandes capitales, les dissidents politiques et religieux,
les Nedjéena qui, fidèles aux anciennes coutumes, ont repoussé
les doctrines du fils d’Âbdel-Wahab, enfin les chefs de districts,
■et les Bédouins. On y fume, on y vend du tabac, et le Coran y
■est ordinairement fort négligé. Il ne faut cependant! pas croire
que cette partie de la ville soit absolument abandonnée à
1 esprit des ténèbres; de vertueux metowas, de saints zélateurs