
dation ou abaissement du Créateur au niveau de la créature).
Je suis entré dans de longs développements pour dégager du
livre saint de l’islamisme la véritable idée de Dieu, pour mettre
à nu cette théologie monstrueuse, qui présente le Créateur
comme le plus despotique des tyrans, et ses créatures comme les
plus viles des esclaves. Conclusion révoltante et pourtant nécessaire
dès que l’on admet l’absorption panthéiste de tout aéte,
de toute responsabilité en Dieu seul. Dans un tel système, les
actes bons ou mauvais de l’homme, le meurtre, le vol, le parjure
ou l’exercice des plus hautes vertus, sont choses indifférentes aux
yeux du grand autocrate, pourvu que le droit inviolable de sa
monarchie suprême demeure intact et soit régulièrement proclamé.
Le despote est satisfait quand l’esclave avoue sa dépendance,
et il n’exige rien de plus. Dieu et la créature passent entre
eux une sorte dé compromis. » Je vous reconnaîtrai, dit l’homme,
pour mon Créateur, mon seul seigneur et mon seul maître, et
j’aurai pour vous un respect, une soumission sans bornes. Afin
de m’acquitter de cette obligation, je vous adresserai chaque
jour cinq prières, qui comprendront vingt-quatre prosternations,
la lecture de dix-sept chapitres du Coran, sans oublier les ablutions
préliminaires, partielles ou totales, le tout entremêlé de
fréquents La Ilah ülah Allahs et autres formalités. De votre côté,
vous me laisserez faire ce qu’il me plaira pendant le reste des
vingt-quatre heures et vous n’examinerez pas trop ma conduite
personnelle et privée ; en récompense des adorations de ma vie
entière vous me recevrez dans le paradis, où vous me procurerez
* la chair des oiseaux si agréable au goût, » de frais ombrages,
des ruisseaux de nectar ; quand bien même 1 accomplissement
de mes devoirs religieux laisserait à désirer, ma foi en .vous et
en vous seul, avec un dévot La Ilah illah Allah, sur mon lit de
mort, suffira pour me sauver. » Voilà, sans périphrases, 1 abrégé,
la substance de l’islamisme orthodoxe. Les promesses consignées
dans le Coran ne laissent pas" au musulman fidèle le
moindre doute sur la ratification du pacte par la divinité : Dieu
ne pardonne pas l’assimilation de qui que ce soit à lui-meme, mais il
absout de toute autre infraction qui il lui plaît, c’est-à-dire ceux
qu’il dirige sur le droit sentier de la vraie foi.
La croyance que je viens d’exposer est commune à tous les
musulmans; mais les Turcs et les Égyptiens seraient sans doute
bien surpris d’apprendre en quoi consiste le second péché
mortel, frère et rival du premier. Pourquoi l’anathème qui
frappe le fumeur? Il est difficile de comprendre cette anomalie
dans un système où tout ce que fait l’homme, c’est Dieu qui le
fait, et où par conséquent l’acte de fumer est le résultat d’un
arrêt divin et d’une impulsion irrésistible, comme le meurtre
par exemple.
On pourrait essayer <le répondre par la phrase commode :
« Allah le veut ainsi. » Qui oserait, en effet, contester à l’autocrate
le droit de placer l’offense où il lui plaît et de la punir
comme il lui plaît?
Il faut cependant produire d’autres raisons, quand il s’agit
d’instruire quelqu’un qui n’est pas complètement imbu des doctrines
de l’école. Je priai humblement mon maître de m’apprendre
quelle malice et quelle immoralité se cachaient sous
les feuilles de tabac, afin que je pusse à l’avenir les détester
davantage et les éviter plus soigneusement.
Ainsi pressé, Abdel-Kerim répondit que le tabac est une substance
enivrante, par conséquent contraire à l’esprit de Mahomet;
j ’exprimai un certain doute à l’égard de cette propriété et
j ’en appelai à l’expérience. Mais, à ma grande surprise, mon
ami avait pour lui les faits, il me riposta par des histoires
effrayantes d’hommes tombant ivres morts après une seule
bouffée de tabac, et d’autres que son usage avait réduits à un
état d’idiotisme. Ses anecdotes n’étaient pas aussi controuvées
qu’on pourrait se l’imaginer d’abord. Le tabac de l’Oman, seule
espèce connue dans le Nedjed méridional, est doué de propriétés
très-énergiques. J ’ai été surpris moi-même plus d’une
fois de sa puissante action narcotique, dont j ’ai vu des exemples
dans les cafés de Bahraïn , dans les khawas de Sohar. Il
n’y a pas d’exagération à dire que les effets de cette plante
sont vingt ou trente fois plus forts que ceux du tabac américain.
Mais ignorant alors ces détails, je refusai d’admettre l’argument
d’Abdel-Kerim. Sans avoir l’air de mettre en doute l’exactitude
des faits qu’il avançait, je répondis qu’ils devaient être
considérés comme des exceptions, et qu’en général les misérables
êtres dépravés que Ton voit dans les régions moins éclairées
du nord, se complaire à l’usage de la honte, ne présentent