
Le vieux quartier, — c’est-à-dire celui qui existait avant que
l’Oman se fût emparé du pays, — a peu d’étendue, les constructions
sont serrées lés unes contre les autres, et renferment de
quatre à cinq mille habitants; elles se composent, pour une
moitié au moins, de marchés, de cafés exigus, mais fort propres,
sans parler d’une grande mosquée voisine du rivage. Les maisons
sont solidement construites, tantôt en pierres, tantôt en
briques ; elles ont un aspect riant et même une certaine élégance,
aux yeux du moins de celui qui arrive du Katar. Les
sculptures des portes, des fenêtres et des balcons, l’arceau ogival
et souvent double, les treillis délicats, trahissent l’influence du
goût persan. Des mûrailles entourent, ou plutôt entouraient
jadis la vieille ville, car en beaucoup d’endroits ce fragile boulevard
a complètement disparu.
Depuis l’époque où le sultan Saïd, s’emparant de ce territoire, a
rendu le port libre, et l’a exempté de toutes les exactions douanières,
sauf un faible droit d’entrée et de sortie, Lindja a vu son
importance •s’accroître; dans ces dernières années, l’étendue
qu’elle avait sousl’administration persane a au moins quintuplé.
Elle est aussi redevable de sa prospérité à la sage tolérance qui,
d’accord avec les principes de l’Oman, a remplacé l’étroit esprit
shiite, et favorisé l’établissement d’un grand nombre de marchands
étrangers venus, non-seulement de Bahraïn, du Katif,
de l’Hasa, de Bassora, mais du Beloutchistan et même de l’Hin-
doustan. De nouvelles maisons, dont la construction témoigne
de la richesse de leurs propriétaires, se sont élevées à l’est et à
l’ouest de la baie, en sorte qu’il faut maintenant une heure et
plus pour parcourir, d’un pas régulier, la ville dans toute sa
longueur. En face du dock se dresse un rocher saillant, le seul
qui se trouve dans les environs; il est couronné par un vieux
château et par une tour de style moyen âge, que n’occupe aucune
garnison; car Thoweyni, pour défendre ses ports, met sa
confiance dans les murailles de bois plutôt que dans celles de
pierre. Le palais du gouverneur omanite, — jeune homme d’une
vingtaine d’années, nommé Seyf, et originaire du Batinah, —
occupe l’extrémité orientale ; il est de forme carrée ; ses quatre
étages, percés de fenêtres ogivales, sont décorés dans le style
persan ; sa vue me rappelait les antiques hôtels de ville du moyen
âge, ceux surtout que l’on rencontre encore dans les Pays-Bas.
Plus loin, se trouvent des chantiers de marine, où règne un travail
intelligent et actif ; quelques-uns des bâtiments que je vis en
construction jaugeaient, d’après une évaluation approximative,
de cent à cent cinquante tonneaux. Quant aux ouvriers, la plupart
viennent de l’Inde. Derrière la ville, on aperçoit un grand
nombre de jardins dont la verte teinte charme les yeux; mais le.
produit en est peu considérable, car le sol est calcaire, sablonneux,
et de plus la rareté de l’eau rend l’irrigation difficile. En
effet, Lindja ne possède pas une seule source, ni même un puits
passable ; les immenses citernes où l’on recueille l’eau des torrents
d’hiver, qui descendent des montagnes de Perse, fournissent
seules à la consommation des habitants. Elles ont une forme
circulaire, et leur diamètre varie de trente à soixante pieds.
Elles sont encloses par de hautes murailles de pierre, et surmontées
d’une sorte de coupole, afin de préserver le contenu de
l’action desséchante du soleil et du vent. La margelle est souvent
entourée à l’intérieur d’un large rebord en pierre ; quand il
manque, on ne peut arriver au réservoir que par l’une des
portes qui, au moyen d’un escalier, conduisent à la couche
d’eau, comme dans les.puits couverts du Guzzerat. Chaque dôme
a cinq portes, en mémoire des cinq personnages chers aux
shiites, Ali, Mohammed fils d’Ali, Fatimah, Hasan et Hoseyn;
on n’en interdit l’accès à personne, et l’on ne prélève aucun
droit; la jouissance est publique,dans le sens le plus large du
mot. Quelques citernes ont une forme oblongue, et sont surmontées
d’une voûte cylindrique; elles n’ont qu’une seule porte.
L’eau est meilleure que je ne m’y serais attendu ; le revêtement
calcaire des fosses contribue peut-être à sa pureté.
Lindja est une ville extrêmement commerçante. Des bâtiments
de toutes sortes, schooners, cutters, lougres, vaisseaux marchands,
bateaux de pêche, remplissent le port; dans les rues, on
rencontre des marins de tous les pays ; ils diffèrent pour les
traits et le costume, mais on les reconnaît à ce je ne sais
quoi d’indéfinissable qui caractérise les matelots ; ainsi l’effigie
de la reine d’Angleterre distingue les monnaies anglaises,
qu’elles soient d’or, d’argent ou de cuivre. Du côté de la terre,
arrivent dans la ville les marchandises de Shiraz et d’Ispahan,
d’Hérat et du Khorassan, les articles de Zanzibar et de Bombay.
La population se compose de Persans, de Tartares, d’Hindous,