
vous ne vous éloigneriez pas sans m’avoir fait jouir huit jours
au moins de votre compagnie. » Nous le remerciâmes, et arrivés
au haut de l’escalier, nous nous installâmes dans une chambre
qui avait peut-être jadis abrité le repos d’un hôte royal, et dont
le plancher était soigneusement recouvert de nattes épaisses ;
deux fenêtres ouvraient sur une cour intérieure; des espaces
demeurés vides, et qui étaient précédemment occupés par des
armoires, semblaient montrer que la pièce avait fait partie
du harem. Nous fermâmes les portes avec soin, nous allumâmes
nos pipes, — pour écarter les moustiques, — et nous nous endormîmes.
Le jour suivant se passa en partie dans le khawah de Farhat,
en partie dans la ville, dont nous visitâmes les places, le
marché, les jardins et la plage, demandant d’un air d’insouciance
des renseignements sur les marins et les bateaux que le
port renfermait. Le Katif forme un contraste frappant avec les
autres régions de l’Arabie. La végétation dépasse en abondance
et en fraîcheur celle des plaines les mieux arrosées de l’Hasa; le
lourd feuillage de ses arbres qui se balance languissamment au
milieu de la pesante atmosphère, réveilla en moi des sensations
depuis longtemps oubliées. Les courants qui arrosent les plantations
de palmiers ont une saveur saline, car le niveau du sol
s élève si peu au-dessus de la mer, que la marée s’avance au
delà des jardins et mêle ses eaux à celles des nombreuses sources
qui descendent des montagnes. Une particularité curieuse, ç’est
que le dattier non-seulement supporte l’action de l’eau salée
sans en souffrir, mais paraît même en éprouver d’excellents
effets. Les plantations de palmiers forment autour de Katif une
large ceinture qui s'étend à plusieurs lieues le long de la côte, et
dont le produit est fort abondant. Les citronniers réussissent
très-bien en ce pays; on y trouve des légumes de toutes sortes;
le blé y est également cultivé, bien que la nourriture des habitants
se compose surtout de poisson et de riz, céréale qui est à
très-bon marché, grâce au commerce de l’Hindoustan avec les
îles Bahraïn.
La ville, humide et sombre, offre peu d’agrément et même
d’intérêt au voyageur. J ’ai remarqué une portion de route pavée,
■et tout près de là une arcade qui remontait évidemment à une
époque plus prospère, alors que Katif avait le rang de capitale.
Les habitants qui, d’après notre costume, nous prenaient pour
des Nedjéens, jetaient sur nous des regards dont l’expression
n’était rien moins que bienveillante. Ils sont industrieux et commerçants,
mais peu hospitaliers. La situation de la ville ne me
parut pas bien choisie. L’avantage de posséder un port à demi
envasé qui, même à la marée haute, n’est accessible qu’aux bâtiments
de petite dimension, compense médiocrement son insalubrité
etl’absence de communications avec l’intérieur; les bancs
de sable qui encombrent la baie en rendent l’approche difficile
et même dangereuse. D’un autre côté, elle est favorablement
placée pour le commerce des îles Bahraïn et de la côte persane,
les promontoires qui la terminent la rendent très-sûre, et si elle
était mieux entretenue, elle pourrait acquérir une grande importance;
mais sous l’administration wahabite, il ne faut pas attendre
de semblables améliorations.
Vers le milieu du jour, un capitaine de navire qui devait mettre
à la voile le soir même, offrit de nous prendre à son bord,
ce que nous acceptâmes avec empressement. En le quittant, nous
nous rendîmes à la 'douane pour payer le droit de sortie qui
frappe les personnes aussi bien que les marchandises; mais
l’employé de la maasher, sans doute d’après les ordres du gouverneur,
nous répondit gracieusemert qu’exiger un farthing de
médecins qui rendaient de si grands services au public, serait
«■sheyn wkhata » (honte et péché). Hélas! les douaniers d’Europe
sont loin de partager ces généreux et patriotiques sentiments.
Le receveur eut même l’attention de nous envoyer deux ou trois
Arabes qui, marchant dans la vase, portèrent nos bagages jusqu’au
petit cutter, amarré à cinquante mètres de la côte. Quand
nous rentrâmes au château, Farhat nous témoigna poliment ses
regrets d’avoir trouvé sitôt le moyen de réaliser notre désir. Il
ajouta qu’il était invité à spuper chez un riche marchand de la
ville, et il nous proposa de l’accompagner; notre prochain départ
n’était pas un obstacle, car le vaisseau ne pouvait mettre à
la voile avant la marée haute, c’est-à-dire avant minuit, et de
plus, le capitaine lui-même faisait partie des convives.
Après le coucher du soleil, nous nous rendîmes donc en
grand appareil, le gouverneur entête , à la demeure de notre
amphitryon. C’était une belle maison à trois étages dont la distribution
intérieure, l’ameublement, l’ornementation, les pièces