
prétation des songes, les bons et les mauvais jours, etc. Je suis
heureux d’avoir à rendre aux Nedjéens ce témoignage qu’ils
ont banni la plupart des superstitions si fréquentes chez les
autres Orientaux.
La dernière semaine de novembre, peu de jours avant notre
départ, le naïb prit avec sa suite la route du Sedeyr ; et l’année
suivante j’appris à Bagdad que lui et les siens étaient heureusement
arrivés au terme de leur voyage.
Les deux mendiants de la Mecque, nos compagnons depuis
Hayel, reçurent chacun une chemise et deux réaux ; munis de
ces magnifiques présents, ils crurent pouvoir diviser leurs
fortunes; l’un se dirigea vers Bassora, où il revêtit le large
turban des Seyid, l’autre suivit la direction de l’ouest, et alla
je ne sais où.
Pendant les quarante jours que nous venions de passer dans
la capitale du Nedjed, on avait continué avec ardeur les préparatifs
qui devaient mener à fin le siège d’Oneyzah. Jusque-là,
voulant se borner à une guerre d’escarmouches, Feysul n’avait
envoyé contre la malheureuse ville que la'moindre partie de ses
troupes; son intention était d’affaiblir l’ennemi par le blocus et
des attaques continuelles, puis de rassembler toutes les forces
du royaume pour frapper un coup décisif. Le commandement
de l’expédition devait être confié à l’invincible et sanguinaire
Abdallah.
Le jour désigné approchait ; l’Yémamah et l’Harik, le Soley
et le Dowasir envoyaient leurs contingents ; les levées de l’Hasa,
l’artillerie du Katif allaient arriver, les bataillons redoutés de
l’Ared se réunissaient; quelle chance de salut restait à la ville
assiégée, privée de tout secours extérieur, et menacée d’une si
formidable agression ?
Zamil comprit que sa perte était certaine. Le shérif de
la Mecque abandonnait la cause d’Oneyzah, et l’Egypte était
pour elle, comme autrefois pour les Hébreux, Un roseau brisé.
Les Kasimites envoyèrent au roi du Nedjed des lettres suppliantes,
dans lesquelles ils promettaient de se soumettre et de
payer le tribut, renouvelaient leurs protestations d’orthodoxie,
faisaient appel à la fraternité qui doit unir tous les musulmans,
enfin rendaient Feysul responsable devant Dieu de tous les
maux qui allaient suivre, si leur prière était repoussée. Le
vieux sultan se sentit ému, il aurait volontiers accueilli
l’humble demande dont le refus troublait sa conscience. Mais
l’ambition de Mahboub avait décrété la chute d’Oneyzah, car
la ruine de cette ville augmenterait l’importance de l'empire
wahabite et par suite celle du ministre ; de son côté, le féroce
Abdallah, enivré d’avance par l a gloire du triomphe, fermait
l’oreille aux paroles de paix comme ce général qui, dit-on,
avait dans sa poche le traité d’Utrecht, lorsqu’il livra la bataille
de Nimègue ; enfin les zélateurs assiégeaient le monarque
indécis, lui conseillant la sévérité prescrite par le Prophète
dans le fameux chapitre du Coran intitulé « Repentir, » chapitre
qu’il faudrait plutôt désigner sous le nom de « Venveance, »
selon la remarque judicieuse d’Abou-Bekr. Cédant à 1 influence
de ceux qui l’entouraient, Feysul envoya enfin son ultimatum.
« Consentez à livrer Zamil, El-Kheyat et les autres chefs de là
révolte, disait le message royal, à cette condition seulement,
je traiterai de la paix. » La mort était préférable à de pareilles
conditions, les habitants d’Oneyzah ne firent aucune réponse.
J’ai vu de mes propres yeux, dans le cabinet de Mahboub, la
lettre des Kasimites, et la réponse de Feysul.
Abdallah, au comble de ses voeux, commença en toute hâte
ses préparatifs de départ. Pendant ce temps, le roi donna
l’ordre à son second fils Saoud d’amener les troupes de l’Harik.
pour les joindre au corps d’armée dont son frère allait prendre
le commandement. Le jeune prince vint bientôt, suivi d’environ
deux cents cavaliers ; le reste de ses hommes, au nombre
de deux mille, étaient montés sur des chameaux; L’arrivée de
Saoud fut célébrée par une audience publique, la seule que
pendant mon séjour dans le Nedjed, Feysul ait donnée à ses
sujets. C’était une scène digne de tenter le pinceau d’un peintre.
Le vieux despote aveugle, décrépit, obèse, avait cependant un
air imposant avec sa longue barbe blanche, son large front,
son attitude soucieuse, son costume d’une austère simplicité ;
l’èpée ornée d’une garde d’or qui pendait à sa ceinture était
le seul luxe qu’il se fût permis. Près de lui se tenaient les ministres,
les officiers du palais, une foule de nobles et riches
citoyens. Le défilé des troupes commença. Enveloppé d’un magnifique
cachemire et d’un manteau brodé d’or, Saoud, en uniforme
de hussard, marchait à la tête de ses cavaliers ; ceux-ci por