
côte orientale, depuis le Katar jusqu’à Bassora. Elles avaient
été les dernières à embrasser l’islamisme, les premières à s’en
détacher. Voisines de la Perse, elles avaient respiré l’atmosphère
de son étrange mysticisme, et cela, dès les temps les plus reculés,
autant qu’on en peut juger par les clartés douteuses que la
légende répand sur ces premiers âges. En un mot, l’Hasa et
l’Oman, forteresses du sabéisme, n’avaient jamais pleinement
adopté la foi mahométane, et l’arbre planté par le Prophète
n avait pas jeté dans les provinces orientales de profondes
racines.
Une grande fermentation d’idées, beaucoup de troubles partiels
avaient marqué les deux premiers siècles de l’islamisme;
toutefois, comme il n’en résulta aucune conséquence immédiate,
je les passerai sous silence pour arriver au grand mouvement
religieux suscité par Abou-Saïd-el-Dj'enabi, plus célèbre
sous le nom d’El-Karmout, d’où nous avons tiré le mot
Carmathe. Le calife de Bagdad, Matedab-Ulah, envoya vainement,
vers l’année 287 de l’hégire, ses meilleures troupes et ses
plus habiles généraux pour étouffer l’incendie qui menaçait
de dévorer l’islamisme. Les armées musulmanes furent taillées
en pièces par les Carmathes furieux qui, après la bataille de
Djebel Moghasi, brûlèrent vifs tous les prisonniers, à l’exception
d’un seul qu’ils chargèrent d’annoncer à Bagdad le sort de
ses compagnons. Abou-Saïd-el-Karmout, n’étant plus retenu
par la crainte des Abassides, fit irruption dans les provinces
voisines, et porta ses ravages jusqu’en Syrie. C’est à ce prince
que l’on attribue la construction du palais de Katif, qui pendant
huit siècles servit de château-fort à ses descendants.
Il eut pour successeur son fils Abou-Tahir-Soleyman, dont
la gloire surpassa de beaucoup celle de son père. Alors on vit
les guerres terribles qui amenèrent la chute de l’islamisme-
dans les deux tiers de l’Arabie, en même temps qu’elles mettaient
son existence en péril dans le reste de l’Orient. Abou-
Tahir-el-Karmout prit en main l’épée de son prédécesseur
Djaounat-el-Katari, premier chef des Kowaridj, choisit pour
devise quelques-uns des beaux vers du réformateur, les mêmes
dont Ebn-Kallikhan a dit « qu’ils inspireraient du courage aux
plus insignes lâches de la terre ; » puis, fort de ces talismans
invincibles, il retint prisonnier dans Bagdad le calife tremblant,
menaça la citadelle d’Alep, remplit de cadavres l’enceinte
de la Kaaba et le puits de Zemzem. Dans un chapitre
précédent, nous avons essayé de faire entendre au lecteur
l’écho affaibli d’un chant d’amour arabe; quelques lignes du
cri de guerre.de Djaounat-el-Katari ne seront peut-être pas déplacées
ici,, d’autant plus que l’intérêt historique s’y joint au
mérite littéraire :
J ’ai dit à mon âme, un instant saisie de crainte à la vue des menaçants
bataillons :
Honte sur toi! Pourquoi tant de frayeur?
Quand tu emploierais toute la puissance de tes-facultés pour prolonger
seulement d’un jour
Ton existence au delà du terme fixé par le destin, tes efforts seraient
inutiles.
Les flots de la mort nous environnent de toutes parts,
Notre vie en ce monde ne doit pas être éternelle.
De longs jours ne sont pas pour le guerrier un vêtement d’honneur,
C’est une robe qui sied-seulement aux coeurs faibles et lâches.
La mort est le but de la vie, tous les chemins y conduisent.
La mort est notre reine, son héraut nous somme tous de comparaître
devant elle.
Celui qui ne tombe pas sur un champ de bataille devient la proie de
la souffrance et de la décrépitude
Jusqu’à ce que la mort le retranche du nombre des vivants..
La vie n’est pas un bienfait pour l’homme, elle n’est pas digne de
son amour,
Car la vieillesse le rend bientôt un objet inutile et méprisable.
Les guerres, les succès, les revers de la puissante secte qui
doit son nom à El-Karmout, appartiennent à l’histoire générale,
et les annales de l’Orient nous fournissent assez de lumières
à cet égard. Il fallait un énergique effort de l’esprit humain
pour briser les liens du fatalisme et revendiquer la liberté morale;
mais comme il arrive presque toujours en pareille circonstance,
on dépassa le but qu’on voulait atteindre. Quand, après
une lutte de plus d’un siècle, l’islamisme eut triomphé de ses
ennemis, quand la Pierre Noire, purifiée par des flots d’essence
de rose, eut été replacée dans la Kaaba, quand la foi unithéiste
eut abattu à ses pieds le fier rationalisme, il restait cependant
des ruines que ni les lois, ni les gouvernements ne pouvaient
réparer : les provinces qui avaient été le berceau, le foyer de
la révolte étaient à jamais perdues pour la cause mahométane.
Les montagnes du Valais, les forêts de la Bohême, le nord de la
Saxe, les environs de Paris ont offert, dans des contrées plus