
timents du malheureux naîb. Il était curieux de l’entendre raconter
lui-même, tantôt en mauvais arabe, tantôt en élégant
hindoustani, ces divers incidents, pendant que nous fumions
tranquillement un narghileh dans son khawah.
Un événement comique amena quelques jours après une crise
heureuse dans les affaires du naîb, et le délivra des outrages
prodigués à ses convictions shiites. J’ai raconté déjà que, matin
et soir, on fait dans les mosquées l’appel des fidèles, et que les
absents sont exposés à recevoir des exhortations d’une nature fort
pressante. Ni le naîb, ni Barakat, ni moi, nous ne nous croyions
cependant soumis aux mêmes règles que les Wahabites, aussi n’étions
nous pas fort assidus à la prière. Un matin le zélateur chargé
de veiller à l’édification de notre rue, se mit en tête que les infidèles
» devaient, pour ne pas causer de scandale, agir comme les
vrais musulmans. « Cum Romæ fueris, romano vivitur usu. » Il fit
donc mettre nos noms sur la liste, l’iman les lut avec les autres,
mais il va sans dire que personne n’éleva la voix pour y répondre.
Le zélateur indigné rassembla une foule pieuse, armée de bâtons,
et un peu avant le lever du soleil il s’arrêtait devant notre demeure,
la première de sa tournée. La porte était heureusement
fermée au verrou, car Barakat, Abou Eysaet moi, nous fumions
la pipe du matin à côté d’une tasse d’excellent café. Le guide, en
entendant le coup de marteau dont sa mauvaise conscience lui
révéla aussitôt le motif, fut extrêmement effrayé, sachant par
expérience que le failatisme wahabite, quand une fois il a pris
l’éveil, est un dangereux ennemi. Pâle comme la mort, il nous
conseilla de ne pas répondre à la sommation et de nous blottir
dans une pièce reculée ; mais Barakat, au contraire, résolut de
faire face au danger; il alla droit à la porte ; l’ouvrit et s’avançant
au dehors, il la referma vivement derrière lui, sans laisser
aux visiteurs le. temps d’entrer. Le colloque suivant s’engagea
ensuite dans la rue :
« Pourquoi n’étiez-vous pas aux prières ce matin? '
— Nous avons déjà dit nos prières; nous ne sommes pas des
athées?
— Pourquoi n’avez-vous pas répondu à l’appel de vos noms ?
demanda le zélateur, supposant d’après le tour équivoque de la
réponse que nous devions avoir été à la djamia.
— Nous pensions que vous autres Wahabites, vous aviez des
cérémonies particulières qui ne regardent pas les étrangers;
pouvons-nous connaître tous vos usages? » répliqua Barakat
sans se déconcerter.
— Quel homme était à votre droite pendant la prière?
demanda l’inquisiteur.
— Quelque Bédouin, je pense; est-ce mon affaire de connaître
tous les Bédouins de Riad?
— Et qui était à votre gauche ?
— Le mur. »
Ces derniers mots furent prononcés d’un air si naturel
d’innocence et de tranquillité que lés porteurs de gourdins ne
savaient que faire. En vrais Arabes, ils laissèrent à mon compagnon
le bénéfice du doute, et s’éloignèrent non sans recommander
l’exactitude aux offices religieux. — « Si Dieu le veut, »
répondit Barakat d’une manière vague, mais orthodoxe.
En quittant notre demeure, la sainte cohorte se rendit à celle
du naîb. Un violent coup de marteau fit accourir Ali, le jeune
domestique, qui, avec une imprudente confiance, ouvrit la porte
tout au large. LesPersans à Riad, n’ont pas à attendre de merci-
« Jetez-le à terré, battez-le, purifiez sa peau ! » cria-t-on de
de toutes p a rts, et l’assaillant le plus proche saisit le shiite
étonné pour lui infliger le châtiment légal.
Mais Ali était un grand et vigoureux garçon que l’on ne pouvait
facilement terrasser ; par un violent effort, il réussit à
se dégager de l’étreinte des pieux exécuteurs, et se précipita
dans l’intérieur de la maison en appelant de toutes ses forces
son frère Hasan à son aide. Ce dernier s’avança, tenant un pistolet
de chaque main; tandis qu’Ali saisissait un poignard et le
brandissait d’un air menaçant; le vieux naîb, arraché à son
sommeil, sortit en robe de chambre, et appuyé contre la rampe
de l’escalier, accabla les intrus de malédictions et de menaces
persanes. Les zélateurs tournèrent les talons et s’enfuirent
en désordre; Ali et Hasan les poursuivirent le pistolet au
poing jusque dans la rue, battant l’un, donnant des coups de
pieds à un autre, culbutant un troisième au milieu de la
poussière.
Le naîb s’habilla aussitôt et ise rendit au palais pour demander
justice de l’acte d’agression dont il avait été l’objet.
Notre affaire s’étant terminée d’une manière pacifique, nous