
fouiller une tombe n’est pas un crime; il lui conseilla néanmoins,
pour éviter le scandale et les bavardages, d’attendre la
tombée de la nuit. Ainsi encouragé, le Nedjéen se mit à l’oeuvre
le soir même et retira bientôt sa bourse des mains glacées du
cadavre. Mais quels ne furent pas son épouvante et son horreur
en reconnaissant que le défunt avait changé de position et détourné
sa tête de la Kaaba! Recouvrant le corps à la hâte, il retourna
chez le cadi pour l’informer de ce sinistre présage. Tous
deux furent d’avis que le mort devait avoir commis quelque
faute irrémissible, et résolurent de faire une enquête officielle
pour découvrir les preuves du péché qui avait mérité un tel
châtiment. Ils bouleversèrent du haut en bas la pauvre demeure
et découvrirent enfin, soigneusement cachée dans une
fente de la muraille, une petite pipe dont le tube noirci et l’odeur
diabolique révélaient trop clairement l’infâme hypocrisie de son
propriétaire. Le crime était notoire, le miracle s’expliquait, et
sans doute l’amateur de « la honte » brûlait déjà dans le feu
qui ne s’éteint pas. Un autre était tombé en pourriture, un rocher
avait brisé la tête d’un troisième, etc.
La moralité cependant gagne peu de chose à. ces légendes
édifiantes. A la vérité, dans ce pays du pharisaïsme, les lumières
sont éteintes une heure après le coucher du soleil, et personne
ne peut se montrer dans les rues; pendant le jour les enfants
eux-mêmes n’osent jouer sur les places publiques, les hommes
se gardent de rire et de parler à haute voix. Aucune apparence
de gaieté mondaine n’offense les yeux des graves puritains, et le
bruit profane des instruments de musique ne trouble jamais le
murmure sacré de la prière. Mais le vice sous toutes ses formes,
même les plus honteuses, s’étale ici avec une audace inconnue
aux villes les plus licencieuses de l’Orient, et l’honnêteté relative
que l’on remarque dans les autres cités arabes forme avec
la corruption de Riad un contracte étrange et frappant. <* Un
gouvernement qui, non content de réprimer les excès scandaleux,
dit un célèbre historien moderne, veut astreindre ses sujets
à une austère piété, reconnaîtra bientôt qu’en essayant de
rendre à la cause de la vertu un service impossible, il a seulement
encouragé le désordre. » Toutes les réflexions que la dépravation
du parlement, l’austérité des puritains et l’odieuse
immoralité des derniers Stuarts suggèrent à Macaulay, dans ses
« Critical and historical Essays », peuvent s’appliquer presque
littéralement au Nedjed, « le royaume des saints; » elles peignent
d’une manière saisissante sa condition actuelle, en même
temps qu’elles prédisent l’avenir qui lui est inévitablement réservé.
C’est un fait remarquable et digne d’attention que les crimes
frappés d’une réprobation universelle, parce qu’ils sont condamnés
par la nature elle-même, étaient les seuls qui, avant
l’établissement du wahabisme, fussent punis dans le Nedjed de
supplices rappelant la torture orientale. Tandis que les Turcs
et les Persans ont soulevé contre eux, par la barbarie de leurs
exécutions pénales, l’indignation de tous les peuples civilisés,
les Arabes, ainsi que je l’ai déjà fait observer, se sont toujours
bornés à trancher la tête des criminels, pensant que nul homme
n’a le droit d’ajouter à l’horreur de la mort une cruelle et lente
agonie. Toutefois., dans les cas auxquels je viens de faire allusion,
la société outragée croyait devoir infliger aux coupables
un châtiment exemplaire ; on les attachait par les talons et on
les suspendait la tête en bas jusqu’à ce qu’ils fussent morts. Le
gouvernement actuel, au contraire, montre une grande indulgence
pour ces sortes de crime. Telle est la terre sainte, le modèle
de l’Islam.
Abdel-Latif a plusieurs frères qui lui sont bien inférieurs sous
le rapport du talent. Le plus jeune, Mohammed, est un curieux
personnage. Il arrivait d’Egypte où, pendant deux années, il
avait étudié la médecine à Kasr-el-Eyni, et il justifiait pleinement
le proverbe arabe : « Ane il est parti, âne il est revenu. »
Esprit étroit, coeur sec, avare à vingt ans comme Harpagon à
soixante, il avait, par un heureux assemblage, greffé les vices du
Coran sur la tige nedjéenne; c’était plaisir de l’entendre, dans
un patois aussi étrange que celui de cet homme qui avait oublié
en voyageant sa langue maternelle, et n’en avait appris aucune
autre, parler de l’Égypte et se livrer à des dissertations interminables
sur la race des Pharaons, comme il appelait dédaigneusement
les habitants du grand Delta. Il avait suivi, sans y
rien comprendre, les premiers cours de l’école de médecine,
mais, quand les leçons d’anatomie commencèrent, quand il
fallut étudier les mystères de l’amphithéâtre, il déclara que son
orthodoxie ne lui permettait pas d’être témoin d’aussi abomi