clvm SUR L’ IBIS.
moins analogue à celui de la cigogne et du héron ; cette idée est
même la seule bonne objection qu’on puisse faire contre l’identité
de notre oiseau avec l’ibis. Gomment,dira-t-on, un oiseau àbec foible,
un courlis pouvoit-il dévorer ces reptiles dangereux ?
On pouvoit répondre que des preuves positives, telles que des
descriptions, des figures et des momies doivent toujours l’emporter
sur des récits d’habitudes trop souvent imaginés sans autre motif
que de justifier les différens cultes rendus aux animaux; on pouvoit
ajouter que les serpens dont les ibis délivroient l’Egypte, nous sont
représentés comme très-venimeux, mais non pas comme très-grands.
Je croyois même avoir obtenu une preuve directe que les oiseaux
momifiés qui avoient un bec absolument semblable à celui de notre
oiseau, étoient de vrais mangeurs de serpens , car j’avois trouvé
dans une de leurs momies des débris non encore digérés de peau et
d’écailles de serpens que je conserve dans nos galeries anatomiques.
Mais aujourd’hui, M. Savigny qui a observé vivant, et plus d’une
fois disséqué notre numenius blanc , l’oiseau que tout prouve avoir
été l’ibis, assure qu’il ne mange que des vers, des coquillages d éau
douce et d’autres petits animaux de cette sorte. En supposant que ce
fait n’ait pas d’exception, tout ce que l’on peut en conclure, c est
que les Égyptiens, comme cela est arrivé plus d’une fois à eux et à
d’autres, avoient inventé pour un culte absurde,une raison fausse. Il
est vrai qu’Hérodote dit avoir vu dans un lieu des bords du desert (i),
près de Buto , une gorge étroite où étoient amoncelés une infinité
d’osjet d’arêtes, qu’on lui assura être les restes des serpens ailés qui
cherchent à pénétrer en Egypte au commencement du printemps,
et que les ibis arrêtent au passage ; mais il ne nous dit pas avoir
été témoin de leurs combats, ni avoir vu de ces serpens ailes dans
(ï) Euterpe, cap. L X X V . Hérodote dit un lieu d’Arabie ; mais on ne voit pas comuxen
un lieu d’Arabie aurait pu être près de la ville de Buto, qui était dans la partie occidentale
du Delta.
leur état d’intégrité. Tout son témoignage se réduit donc h avoir
observé un amas d’ossemens, qui peuvent très-bien avoir été ceux
de cette multitude de reptiles et d’autres animaux que l’inondation fait
périr chaque année, dont elle doit naturellement transporteries cadavres
jusqu’aux endroits où elle s’arrête, jusqu’aux bords du désert,
et qui doivent s’accumuler de préférence dans une gorge étroite.
Cependant c’est également d’après cette idée des combats de l’ibis
contre les serpens que Cicéron donne à cet oiseau un bec corné et
fort (i). N’ayant jamais été en Egypte, il se figurpit que cela devoit
être ainsi par simple analogie.
Je sais que Strabon dit quelque part que l’ibis ressemble à la
cigogne par la forme et par la grandeur (2) , et que cet auteur
devoit bien le connoître, puisqu’il assure que de son temps les rues
et les carrefours d’Alexandrie en étoient tellement remplis, qu’il en
résultoit une grande incommodité ; mais il en aura parlé de mémoire ;
son témoignage ne peut être recevable lorsqu’il contrarie tous les
autres, et surtout lorsque l’oiseau lui-même est là pour le démentir.
C’est ainsi que je ne m’inquiéterai guère non plus du passage où
Elien rapporte (3) , d’après les embaumeurs égyptiens, que les intestins
de l’ibis ont 96 coudées de longueur. Les prêtres égyptiens
de toutes les classes ont dit tant d’extravagances sur l’histoire naturelle
qu’on ne peut pas faire grand cas de ce que rapportoit l’une de
leurs classes les plus inférieures.
On pourroit encore me faire une objection tirée des longues
plumes effilées et noires qui recouvrent le,croupion de notre oiseau,
et dont on voit aussi quelques traces dans la-figure de l’abou-hannès
de Bruce.
Les anciens, dira-t-on, n’en parlent point dans leurs descriptions,
■ (>) Avis excella., cruribus rigidis, corneo proceroque rostre. Cic., de Nat. deor., lib. I. (î).Strab., lib. X VII.