moins parce que la catastrophe qui les a détruites ne leur a pas laissé
le temps de se livrer à leurs variations ?
Quant aux naturalistes qui reconnoissent que les variétés sont
restreintes dans certaines limites fixées par la nature , il faut, pour
leur répondre, examiner jusqu’où s’étendent ces limites, recherche
curieuse, fort intéressante en elle-même sous une infinité de rapports
, et dont on s’est cependant bien peu occupé jusqu ici.
Cette recherche suppose la définition de l’espèce qui sert de
base a l’usage que l’on fait de ce mot, savoir que l’espèce comprend
le,s individus qui descendent les uns des autres, ou de parens
communs, et ceux qui leur ressemblent autant qu ils se ressemblent
entre eux. Ainsi nous n’appelons variétés d’une espèce
que les races plus ou moins différentes qui peuvent en être sorties par
la génération. Nos observations sur les différences entre les ancêtres
et les descendans sont donc pour nous la seule règle raisonnable 5
car toute autre rentreroit dans des hypothèses sans preuves.
Or, en prenant ainsi la va riété, nous observons queles différences
qui la constituent dépendent de circonstances déterminées, et que
leur étendue augmente avec l’intensité de ces circonstances.
Ainsi les caractères les plus superficiels sont les plus variables ,
la couleur tient beaucoup à la lumière ; l’épaisseur du poil à la
chaleur, la grandeur à l’abondance de la nourriture 3 mais, dans
un animal sauvage, ces variétés même sont fort limitées par le
naturel de cet animal, qui ne s’écarte pas volontiers des lieux où
il trouve, au degré convenable, tout ce qui est nécessaire au maintien
de son espèce, et qui ne s’étend au loin qu’autant qu’il y trouve
aussi la réunion de ces conditions. Ainsi, quoique le loup et le
r e n a r d habitent depuis la zone torride jusqu’à la zone glaciale, à
peine éprouvent-ils, dans cet immense intervalle , d’autre variété
qu’un peu plus ou un peu moins de beauté dans leur fourrure. J ’ai
comparé des crânes de renards du Nord et de renards d’Egypte avec
ceux des renards de France , et je n’y ai trouvé que des différences
individuelles.
Ceux des animaux sauvages qui sont retenus dans des espaces
plus limités, varient bien moins encore , surtout les carnassiers.
Une crinière plus fournie fait la seule différence entre l’hyène de
Perse et celle de Maroc.
Les animaux sauvages herbivores éprouvent un peu plus profondément
l’influence du climat, parce qu’il s’y joint celle de la nourriture
, qui vient à différer quant à l’abondance et quant à la qualité.
Ainsi les éléphans seront plus grands dans telle forêt que dans
telle autre ; ils auront des défenses un peu plus longues dans les
lieux où la nourriture sera plus favorable à la formation de la
matière de l’ivoire 3 il en sera de même des rennes, des cerfs, par
rapport à leur bois ; mais que l’on prenne les deux éléphans les plus
dissemblables, et que l’on voye s’il y a la moindre différence dans
le nombre ou les articulations des os, dans les dents,etc,
D’ailleurs les espèces herbivores à l’état sauvage, paroissent plus
restreintes que les carnassières dans leur dispersion , parce que
l’espèce de la nourriture se joint à la température pour les arrêter.
La nature a soin aussi d’empêcher l’altération des espèces , qui
pourroit résulter de leur mélange, par l’aversion mutuelle qu’elle
leur a donnée ; il faut toutes les ruses, toute la puissance de l’homme
pour faire contracter ces unions, même aux espèces qui se ressemblent
le plus; et quand les produits sont féconds, ce qui est très-rare,
leur fécondité ne va point au-delà de quelques générations, et
nauroit probablement pas lieu sans la continuation des soins qui
l’ont excitée. Aussi ne voyons-nous pas dans nos bois d’individus
intermédiaires entre le fièvre et le lapin, entre le cerf et le daim, entre
la marte et la fouine.
Mais l’empire de l’homme altère cet ordre ; il développe toutes
h !