les fit tous mourir immédiatement après la bataille de la Trebbia,
excepté un seul ; Tite-Live, qui est plus détaillé, lui en laisse encore
huit, dont sept moururent bientôt après, lors de la vaine tentative
l’Arno au-dessous des limites des Aretins, il n’étoit pas encore en Etrurie. Il s’y rendoit
(Etruriampetebat). Or, d’après ma manière de voir, ou bien il ne traversa point l’Àrno
du tout et passa entre cette rivière et Arezzo, ou bien il n’eut à le traverser qu’au moment
où il quitta Fiesole (Fæsulas linquens). Dans tous les cas, en passant sous Arezzo, il laissa
cette ville et Flaminius qui s’y trouvoit à sa gauche, et alla vers Cortone et vers le lac par
la diagonale.
Pourquoi, dira-t-on, Flaminius ne chercha-t-il point â gêner cette marche? Par la même
raison qu’il se laissa ensuite attirer à poursuivre Annibal ; parce que c’étoit un mauvais
général.
Mais une opinion qui n’avoit aucune excuse , parce qu’elle contredit à îâ fois et le' bon
sens, et les textes corrompus et les textes rétablis , et parce qu’elle a encore le défaut de
placer les marais en Etrurie, quelque circonscription que l’on donné à ce pays , c’est celle
de Sanleolino et de D in i, renouvelée par Folard, et adoptée par Rollin, laquelle suppose
que les marais en question étoient ceux de Chiusi, c’est-à-dire, ceux de,la Chiane.
• Folard offre surtout un modèle des faux raisonnemens dans lesquels un homme de mérite
peut tomber quand il part d’une fausse base.
Commeut Annibal auroit-il pu se porter derrière Rimini et Arezzo, en évitant à la fois
et Servilius et Flaminius? Où auroit-il pu passer lés Apennins pour tomber d’abord à Clu-
sium ? il auroit fallu les passer dans l’Ombrie et non pas dans la Ligurie ; il auroit fallu traverser
même la haute vallée du Tibre, d’où il eut été si aisé de se rendre à Rome sans tant
d’artifices. Mais il y a plus : admettons qu’il eût pu arriver jusqu’à Clusium; comment alors,
se trouvant sur les derrières de Flaminius , au lieu d’aller droit vers Perugia et vers Rome,
seroit-il revenu vers Fiesole en passant sous Arezzo ,• et cela pour y repasser encore en allant
vers Perugia et vers le lac? Comment pourroit-on dire qu’il traversa les marais de Clusium
pour se rendre en Etrurie, quand ces marais sont précisément au centre de l’Etrurie de ce
temps-là? Il n’y a pas un genre d’invraisemblance ni dé contradiction formelle avec les1
auteurs qui ne se rencontre dans cette hypothèse.
Après cela admirez les réflexions de cet homme de guerre sur cette marche savante d’An—
nibal, et sur la nécessité où étoit ce général de la faire I
Il y a cependant quelques objections à résoudre dans mon système; la première, , c’est
comment Annibal, étant venu de la Magra vers l’Arno , il-n’approcha point de la mer, et
oomment Polybe a pu dire que ce ne fut qu’à Hadria, après la bataille de Trasimène, qu’il
trouva un moyen de faire partir un vaisseau pour Carthage (*).
Il me semble que, pressé d’atteindre Flaminius , ayant déjà été retardé par sa première
tentative pour passer les montagnes, et n’ayant encore rien de décisif à faire annoncer à ses
compatriotes , il parcourut rapidement la route en question, sans s’occuper de s’emparer
d’un port ni d’expédier un navire. La route actuelle, entre la Magra et l’Arno, est à quelque
distance de la m er, dont elle est séparée par des marais. Il est possible que du temps d’Annibal
elle en fût encore un peu plus éloignée.
(*) P o ly b ., lit. III, cap. LXXXYIII.
qu’il fit pour passer l’Apennin pendant l’hiver ; mais les deux auteurs
sont d’accord qu’au printemps, lorsque Annibal descendit dans les
marais du bas-Arno, il n’avoit plus qu’un seul éléphant sur lequel
ce grand général étoit monté pendant la pénible traversée où il perdit
un oeil par une fluxion.
Or, il est bien évident, comme l’ont" déjà remarqué MM. Tar-
gioni et 'N e sti, que ce seul et unique éléphant n’a pu fournir cette
innombrable quantité d’ossemens qui sont épars dans toute la Toscane;
et de plus, aujourd’hui que l’on sait qu’il y en a presque
autant de rhinocéros et d’Jiippopotames que d’éléphaus, et que les
uns et les autres sont pêle-mêle dans les mêmes couches, il n’y a plus
moyen de croire qu’ils soient provenus d’animaux employés à la guerre.
Dolomieu a observé ces os d’éléphans en place. 11 d it, comme
M. S a n ti, qu’on les trouve à la base des collines d’argile qui remplissent
les intervalles des chaînes calcaires; que les couches qui
les contiennent supportent des bois, les uns pétrifiés, les autres
bituminisés, qu’il a jugés être de chêne, et qui sont eux-mêmes recouverts
par des couches de coquillages marins, mêlés de plantes aron-
dinacées et par d’immenses bancs d’argile (1). Quant à ceux que j’ai vus
moi-même, ils étoient tous dans des collines d’un sable argilleux, à
une hauteur d’au moins 5o à 60 pieds et davantage au-dessus du
bas de la plaine.
Les parties de l’Italie situées aü nord de l’Apennin u’en sont
guère moins riches que celles du milieu de la péninsule.
Jacques Blancanus a fait connoître des morceaux d’ivoire trouvés
au M onte-Blancano près de Bologne (2).
La seconde objection est comment suivant cette route il n’eut point à prendre les villes de
Lucques et de Pise , ou du moins pourquoi lès auteurs ne nous disent point comment il s’en
empara ou comment il fit pour les éviter. Mais quelque route que l’on veuille lui faire suivre,
une objection semblable se présenlera pour d’autres villes non moins considérables. Les historiens
n’ont pu tout dire. On comprend très-bien que Sempronius, qui avoit été rappelé par
Flaminius , ait abandonné Lucques , et qu’Annibal, voulant remonter l’Arno, n’ait pas jugé
nécessaire de prendre Pise,.qui n’avoit peut-être pas de garnison romaine.
(1) Journ. de Phjs., t. X X X IX , p. 3 15 .
(2) Cornent, inst. bonon., tome IY , p. i 35.