L u n des plus fameux, parmi ces animaux des anciens, c’est la
licorne. On s est obstiné jusqu’à nos jours à la chercher, ou du moins
à chercher des argümens pour en soutenir l’existence. Trois animaux
sont fréquemment mentionnés chez les anciens commen’ayant qu’une
corne au milieu du front. L ’oryx d’A fr iq u e , qui a en même temps
le pied fourchu, le poil à contre-sens ( i), une grande taille, comparable
à celle du boeuf (a) ou même du rhinocéros (3) , et que l’on
s accorde a rapprocher des cerfs et des chèvres pour la forme (4) j
1 ane des Indes, qui est solipède, et le monoceros proprement dit,
dont les pieds sont tantôt comparés à ceux du lion M H tantôt à
ceux de l’éléphant (6), qui est par conséquent censé fissipède. Le
cheval (y) et le boeuf unicornes se rapportent l’un et l’autre,
sans doute, à l’âne des Indes, car le boeuf même est donné comme
solipède (8). Je le demande ; si ces animaux existoient comme espèces
distinctes, n’en aurions-nous pas au moins les cornes dans nos cabinets?
Et quelles cornes impaires y possédons-nous , si ce n’est celles
du rhinocéros et du narval?
Comment, après cela, s’en rapporter à des figures grossières tracées
par des sauvages sur des rochers (9) ? Ne sachant pas la perspective,
et voulant représenter une antilope à cornes droites de profil,
ils n’auront pu lui donner qu’une corne, et voilà sur le champ un
oryx. Les oryx des monumens égyptiens ne sont probablement aussi
que des produits du style roide, imposé aux artistes de ce pays par
(1) Aris t., an., I I , i , et I I I , 2 ; P lin ., X I , 46.
(2) Hdrod., IV , 192.
(3) Oppien, Cyneg. , I I , vers. 55i.
(4) P lin ., V I I I , 53.
(5) Philostorge, I II, it .
(6; P l in ., V I I I , 21.
(7) Ondsicrite ap. Strab., lib. X V ; AElian., anim. , X I I I , 42.
(8) P lin ., V I I I , 3i.
(9) Barrow, Voy. au Cap., trad, f r ., I I , 178.
la religion. Beaucoup de leurs profils de quadrupèdes n’offrent qu’une
jambe devant et une derrière ; pourquoi auroient-ils montré deux
cornes ? Peut-être est-il arrivé de prendre des individus qu’un accident
avoit privés d’une corne, comme il arrive assez souvent aux
chamois et aux saïgas, et cela aura suffi pour confirmer l’erreur produite
par ces imagés.
TousTes anciens, au reste, n’ont pas non plus réduit l’oryx à une
seule corne-; Oppien lui en donne expressément plusieurs (i ) , et Elien
en cite qui en avoient quatre (2) ; enfin si cet animal étoit ruminant
et à pied fourchu, il avoit à coup sûr l’os du front divisé en deux,
et n’auroit pu, suivant la remarque très-juste de Camper, porter une
corne sur la suture.
Mais, dira-t-on, quel animal à deux cornes a pu donner l’idée de
l’oryx, et présente les traits que l’on rapporte de sa conformation,
même en faisant abstraction de l’unité de corne ? Je réponds, avec
Pallas, que c’est l’antilope à cornes droites, mal à propos nommée
pasan par Buffon. ( Antilope oryx, Gmel. ) Elle habite les déserts
de l’Afrique, et doit .venir jusqu’aux confins de l’Egypte ; c’est elle
que les hiéroglyphes paroissent représenter ; sa forme est assez celle
du cerf; sa taille égale celle du boeuf; son poil du dos est dirigé
vers la tête ; ses cornes forment des armes terribles, aiguës comme
des dards, dures comme du fer ; son poil est blanchâtre ; sa face
porte des traits et des bandes noires : voilà tout ce qu’en ont dit les
naturalistes ; et, pour les fables des prêtres d’Egypte qui ont motivé
l'adoption de son image parmi les signes hiéroglyphiques, il n’est pas
nécessaire qu’elles soient fondées en nature. Qu’on ait donc vu un
oryx privé d’une corne ; qu’on l’ait pris pour un être régulier,
type de toute l’espèce ; que cette erreur adoptée par Aristote ait été
copiée par ses successeurs, tout cela est possible, naturel même ,
(1) Op. Cj-neg., lib. II, v. 468 et 471.
(2) De A n ., lib. X V , cap. 14.
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