Ce principe est assez évident en lui-même, dans cette acception
générale, pour n’avoir pas besoin d’une plus ample démonstration ;
mais quand il s’agit de l’appliquer, il est un grand nombre de cas où
notre connoissance théorique des rapports des formes ne suffiroit
point, si elle n’étoit appuyée sur l’observation.
Nous voyons bien, par exemple, que lès animaux à sabots doivent
tous être herbivores, puisqu’ils n’ont aucun moyen de saisir une
proie 5 nous voyons bien encore que, n’ayant d’autre usage à faire
de leurs pieds de devant que de soutenir leur corps, ils n’ont pas
besoin d’une épaule aussi vigoureusement organisée : d’où résulte
l’absence de clavicule et d’acromion, l’étroitesse de l’omoplate ;
n’ayant pas non plus besoin de tourner leur'avant-bras, leur radius
sera soudé au cubitus, ou du moins articulé par gynglyme et non par
arthrodie avec l’humérus; leur régime herbivore exigera-des dents à
couronne plate pour broyer les semences et les, herbages ; il faudra
que cette couronne soit inégale, et, pour cet effet, que les parties
d’émail y alternent avec les parties osseuses; cette sorte de couronne
nécessitant des moüvemens horizontaux pour la trituration, le cou-
dyle de la mâchoire ne pourra être un gond aussi serré que dans les
carnassiers : il devra être aplati, et répondre aussi à une facette de l’os
des tempes plus ou moins aplatie; la fosse temporale, qui n’auraqu’un
petit muscle à loger, sera peu large et peu profonde, etc. Toutes ces
ehoses se déduisent l’une de l’autre, selon leur plus ou moins de
généralité, et de manière que les unes sont essentielles et exclusivement
propres aux animaux à sabot, et que les autres,- quoique également
nécessaires dans ces animaux, nè leur seront pas exclusives,
mais pourront se retrouver dans d’autres animaux, où le reste des
conditions permettra encore celles-là.
Si l’on descend ensuite aux ordres ou subdivisions de la classe des
animaux à sabots, et que l’on examine quelles modifications subissent
les conditions générales, ou plutôt quelles conditions particulières il
PRÉLIMINAIRE,
s’y joint, d’après le caractère propre à chacun de ces ordres, les
raisons de ces conditions subordonnées commencent à paroitre moins
claires. On conçoit bien encore en gros la nécessité dun système
digestif plus compliqué dans les espèces où le système dentaire est
plus imparfait; ainsi l’on peut se dire que ceux-là dévoient être plutôt
des animaux ruminans, où il manque tel ou tel ordre de dents; on
peut en déduire une certaine forme d’oesophage, et des formes correspondantes
des vertèbres du cou , etc. Mais je doute qu on eut
deviné, si l’observation ne l’avoit appris, que les ruminans aüroient
tous le pied fourchu, et qu’ils seroient les seuls qui l’auroient; je
doute qu’on eût deviné qu’il n’y auroit des cornes au front que dans
cette seule classe; que ceux d’entre eux qui aüroient des canines
aiguës seroient les seuls qui manqueroient de cornes, etc.
Cependant, puisque ces rapports sont constans, il faut bien qu’ils
aient une cause suffisante; mais comme nous ne la connoissons pas,
nous devons suppléer par l’observation au défaut de la théorie ; nous
établissons par son moyen des lois empiriques qui deviennent presque
aussi certaines que les lois rationnelles, quand elles reposent sur des
observations suffisamment répétées, en sorte qu’aujourd’hui quelqu’un
qui voit seulement la piste d’un pied fourchu, peut en conclure
que l’animal qui a laissé cette empreinte ruminoit, et cette conclusion
est tout aussi certaine qu’aucune autre en physique ou en
morale. Cette seule piste donne donc à celui qui l’observe, et la
forme des dents, et la forme des mâchoires, et la forme des vertèbres,
et la forme de tous les os des jambes, des cuisses, des épaules et
du bassin de l’animal qui vient de passer. C’est une marque plus
sûre que toutes celles de Zadig.
Qu’il y ait cependant des raisons secrètes de tous ces rapports, c est
ce que l’observation même fait entrevoir, indépendamment de la
philosophie générale.
En effet quand on forme un tableau de ces rapports, on y re-
T. I. g