n’ est pour ainsi dire, ajoute-t-il, que depuis peu de temps que le
Delta a paru (i). Aristote fait déjà observer qu’Homère parle de
Thèbes comme si elle eût été seule en Egypte, et ne parle aucunement
de Memphis (2). Les bouches canopique et pelusiaque étoient
autrefois les principales, et la côte s’étendoit en ligne droite de l’une à
l’autre; elle paroît encore ainsi dans les cartes de Ptolomée; depuis
lors l’eau s’est jetée dans les bouches bolbitine et phatnitique ; c’est à
leurs issues que se sont formés les plus grands atterrissemens qui ont
donné à la côte un contour demi-circulaire. Les villes de Rosette et de
Damiette, bâties au bord de la mer sur ces bouches il y a moins de
mille ans, en sont aujourd’hui à deux lieues. Selon de Maillet il n’au-
roit fallu que vingt-six ans pour prolonger d’une demi-lieue un cap en
avant de Rqsette (3).
L ’élévation du sol, de l’Egypte s’opère en même temps que cette
extension de sa snrfàce, et le fond du lit du fleuve s’élève dans la
même proportion que les, plaines adjacentes, ce qui fait que chaque
siècle l’inondation dépasse de beaucoup les marques qu’elle a laissées
dans les siècles précédens. Selon Hérodote un espace de. 900 ans avoit
Suffi pour établir une différence de niveaudeseptàhuit coudées (4). A
Eléphantine l’inondation surmonte aujourd’hui de sept pieds, les plus
grandes hauteurs qu’elle atteignoitsous Septime-Sévère, au commencement
du troisième siècle. Au Caire, pour qu’elle soit jugée suffisante
aux arrosemens,. elle doit dépasser de trois pieds et demi la
hauteur qui étoit nécessaire au. neuvième siècle. Les, monumens
antiques, de cette terre célèbre sont tous plus ou moins enfouis
par leur base. Le limon amené par le, fleuve couvre même de
.(i) H&rod. Euterge, :~V. et X V .
(2) A r is t., Meteor., lib. I , cap. XTV. .
(3) D$_ Maillot , Desc. de l’Égyp te, p, 102-et io 3.
(4) Hérod. Euterpe, XIII.
plusieurs pieds les monticules factices sur lesquels reposent les anciennes
villes (1).
Chacun peut apprendre en Hollande et en Italie avec quelle rapidité
le Rhin, le Pô, l’Arno, aujourd’hui qu’ils sont ceints par des
digues, élèvent leur fond, combien leur embouchure avance dans
la mer, en formant de longs promontoires à ses côtés, et juger par
ces faits, du peu de siècles que ces fleuves ont employés pour déposer
les plaines basses qu’ils traversent maintenant.
Beaucoup de villes, qui, à des époques bien connues de l’histoire,
étoient des ports de mer florissans, sont aujourd’hui à quelques
lieues dans les terres ; plusieurs même ont été ruinées par suite de
ce changement de position. Yenise a peine à maintenir les lagunes
qui la séparent du continent ; e t , malgré tous ses efforts, elle sera
inévitablement un jour liée à la terre ferme (2).
On sait, par le témoignage de Strabon, que, du temps d’Auguste,
Ravenne étoit dans les lagunes, comme y est aujourd’hui Venise; et'à
présent Ravenne est à une lieue du rivage. Spina avoit été fondée au
bord de la mer par les Grecs, et, dès le temps de Strabon, elle en
étoit à quatre-vingt-dix stades : aujourd’hui elle est détruite. Adria
enLômbardie,quiâvoit donné son nom à la même mer, dont elle étoit,
il y a vingt et quelques siècles, le port principal, en est maintenant
à six lieues. Fortis a même rendu vraisemblable qu’à une époque plus
ancienne les monts Euganéens pourroient avoir été des îles.,
Mon savant confrère à l’institut, M. de Prony, inspecteur général 1 2
(1) Voyez lés Observations sur la vallée d’Égypte et sur l’exhaussement séculaire du sol
qui la recouvre , par M. Girard (grand ouvr. sur l’Égyp te, et. mod. Mém. t. I I , p. 343 ).
Surquoi nous ferons encore remarquer que Dolomieu , Shaw et d’autres auteurs respectables
estimoient ces élévations séculaires beaucoup plus haut que. M. Girard. Il est
fâcheux que nulle part on n’ait essayé d’examiner quelle épaisseur ont ces terrains au-dessus
du sol primitif, au-dessus du roc naturel.
(2) Voyez le Mémoire de M. Forfait, sur les lagunes de Venise. (Mém. de la Classephrs.
de l’Inst., t. V , p. 2l3.)