peaux de nos hippopotames d’aujourd’hui, mais dont le crâne et par
conséquent les dents, avoient été enlevées avec le reste de la chair et
des os.
Il conclut de cette absence des dents que ce ne pouvoit être là
l’hippopotame des Grecs, puisque celui-ci doit avoir les dents un
peu sorties ; et ayant vu, peu de temps après, à Alexandrie, une
autre peau avec son crâne et ses dents, il en donne aussi la figure
(la même qu’Aldrovande avoit déjà publiée), et il déclare que
celle-ci seule provient du véritable hippopotame, comme si elle
s accordoit mieux avec la description donnée par les Grecs. Il pense,
par la même raison, que les figures de la plinthe de la statue du Nil
et celles des médaillés d’Adrien ne représentent point l’hippopotame,
mais ce prétendu animal différent dont il avoit vu la peau sans dents.
Cette erreur des anciens que les dents de l’hippopotame sortent
de la bouche, étoit difficile à éviter, lorsqu’on n’avoit pas vu l’animal
vivant. Ces dents, surtout les canines, sont si grandes qu’on
a peine à concevoir quelles puissent tenir sous les lèvres ; or , les
anciens voyoient déjà beaucoup de ces dents , même lorsqu’ils
n’avoient encore aucune idée de la taille de l’animal, et qu’ils le
croyoiènt au plus égal à un âne ; elles faisoient un objet de commerce,
et on les employoit au lieu d’ivoire dans les ouvrages les plus précieux
de l’art.
Pausanias parle d’une statue de déesse dont la face étoit faite de
ces dents. (Pausan. Arcad. ed. hanau. i 6 i 3 , p. 53o), et Cosmas, du
temps de l’empereur Justin, déclare en avoir rapporté et vendu une
du poids de i 3 livres; les plus grandes que nous ayons ici n’en
pèsent que six.
Yoilà pourquoi, sans doute, les anciens ont pensé que les dents
de l’hippopotame sortent de la bouche, comme celles du sanglier.
Neanmoins c’est un fait constant que l’hippopotame ne montre
nullement ses dents quand sa gueule est fermée ; plusieurs témoins
oculaires en font fo i, et les têtes qui ont conservé leur peau sans
1 avoir retirée par le dessèchement, le prouvent encore mieux : nous
en avons une telle au Muséum.
Les figures antiques en question nous présentent donc des images
fidèles de cet animal, et il est inutile de supposer l’existence d’une
autre espèce, pour les expliquer.
Prosper Alpin la supposa, comme nous l’avons vu, et donna à
cette prétendue espèce le nom de porc de rivière, appelé, dit-il,
choeropotame par les Grecs..
Or, aucun ancien Grec, du moins à moi connu, n’a employé ce
mot de choeropotam.e pour désigner un animal déterminé. La mosaïque
de Pa lestrine, qu’au reste Prosper Alpin ne connoissoit pas,
montre un quadrupède avec quelques lettres à peine déchiffrables,
où l’on a cru lire yaitair. Mais comme les anciens avoient un choero-
pithèque ou singe cochon qui étoit très-probablement le mandrill
ou quelque cynocéphale, et que la figure en question n’est pas
absolument éloignée de ressembler à de dernier, on n’en peut rien
conclure pour l’existence d’un choeropotame.
Cependant Herman, dans son tableau des rapports des animaux
(Joh. Hermanni, tabula affinitatum animalium, pag. 96), admet
cette existence pour ainsi dire comme si elle étoit démontrée ; il va
jusqu’à dire que Prosper a bien développé la différence du choeropotame
et de l’hippopotame, disertisverbis distiriguit. C’est ainsi que
les plus habiles gens sont entraînés à des erreurs lorsque celles-ci sont
favorables à leurs systèmes généraux. Herman cherchoit à prouver
que tous les animaux tiennent les uns aux autres par une infinité de
chaînons. Il trouvoit les genres de l’ordre des pachydermes trop
isolés pour justifier son idée ; il dut donc chercher à se faire croire à
lui-même qu’il y a encore beaucoup d’espèces inconnues de cette
classe ; et tout ce qui pouvoit faire supposer l’existence de quelqu’une
, étoit avidement recueilli par lui.
Peut-être dira-t-on que l’objet actuel de nos recherches nous donne
en quelque sorte un intérêt contraire, et que nous devons être sans
cesse tenté d’effacer les traces qui pourroient conduire à des espèces
vivantes inconnues, afin de rendre le nombre des perdues plus
considérable. Nous avons senti d’abord que nous courrions ce danger,
et nous chercherons toujours à l’éviter ; en ce moment même nous