P R EM IÈ R E SE C T IO N .
D e s Ê e é p b a n s v î v a n s .
L e genre de l ’ éléphant est l ’un des plus extraordinaires de to u t le
règne animal ; sa s tructure est te lle q u ’il ne se rapproche complètement
d’aucun a u t r e , et b ien que les naturalistes l ’aient classé parmi
les p a ch yd e rm e s , av e c les rhino céro s , les hippopotames et les co ch
on s , il diffère beau co u p plus de tous ces quadrupèdes q u ’ils ne
diffèrent entre eux ; on p eu t dire m êm e , q u ’à b eaucoup d’ égards,
c e gigantesque animal offre des traits frappans de ressemblance avec
l ’o rd re des ron g eu rs , ce lui de tous le s ordres de mammifères qui
est le plus restreint p o u r la taille.
Que l’on compare, en effet, successivement toutes les parties de
la tête de l’éléphant avec celle des autres animaux, c’ est presque
toujours parmi les rongeurs qu’on leur trouvera des analogies.
Les énormes alvéoles des incisives sont le premier et le plus frappant
des caractères qui leur sont communs.
La grandeur du trou sous-orbitaire en 'est un second. C’est dans
quelques rongeurs seulement, surtout de la tribu qui manque de
clavicules, et dont les ongles sont presque aussi développés que des
sabots, dans les cabiais, les paca, les porc-épics, que l’on voit des
trous sous-orbitaires égalant ou surpassant celui de l’éléphant, et la
raison en est que ces animaux ont besoin, pour leur énorme mufîle,
de nerfs considérables comme en exige la trompe de l’éléphant.
L ’arcade zygomatique est dirigée et formée encore dans l’éléphant
comme dans ces rongeurs ; l’os jugal se trouve, dans les uns
et dans les autres, suspendu au milieu-de l’arcade.
La longueur des incisives supérieures, c’est-à-dire des défenses,
qui correspondent aux incisives des autres quadrupèdes, par leur
insertion dans l’os appelé incisif, ou intermaxillaire, est un caractère
qui tient de près à celui de la grandeur de leurs alvéoles. A la vérité
le nom d’incisives ne convient pas aux défenses de l’éléphant, qui
croissent indéfiniment et ne sont point tranchantes ; mais leur croissance
vient de ce qu’elles ne sont point arrêtées par la rencontre de
dents inférieures; et leur défaut de tranchant, de ce que leur émail
les enveloppe également de toute part. Ces deux circonstances qui
donnent aux défenses un autre usage qu’aux incisives ordinaires, n’ ôtent
rien à l’analogie de nature et de position de ces deux sortes de
dents ; on sait meme que dans les vrais rongeurs, lorsqu’une incisive
tombe par accident, l’incisive opposée se prolonge presque
autant à proportion que les défenses de l’éléphant, mais dans une
direction irrégulière, qui fait même périr quelquefois l’animal, en l’ empêchant
de prendre sa nourriture. Les défenses qui n’étoient point
destinées, comme les incisives des rongeurs^, à la division des alimens
ou des bois et des écorces, n’ont pas reçu à leur face antérieure
cette couche d’un émail épais et dur, qui maintient, par un moyen
aussi simple qu’efficace, les incisives des rongeurs toujours aiguisées ;
elles n’ont même qu’un émail si tendre qu’on le confondroit avec
l’ivùire, sans la direction différente de ses fibres.
Ces légères différences dans les caractères des défenses, qui n’en
avoient pas imposé au génie d’Aristote (1), ont porté quelques anciens
et quelques modernes à leur disputer le nom de dents ; mais ,
parmi les vrais naturalistes, il n’y a eu de discussion que sur la sorte
de dents à laquelle on doit les rapporter. Linnæus et M. Wiedemann
ont mieux aimé y voir des canines que des incisives, parce qu elles
sortent de la bouche, comme les canines du sanglier ; mais les quatre
incisives du rât-taupe sortent aussi de la bouche : ainsi ce ne seroit
là qu’une dispute de mots; toujours est-il certain que les défenses
de l’éléphant sont implantées dans l’os incisif, et que, par là, c-’est
aux incisives des rongeurs qu’elles répondent (2).
Hïtçî'j ^ „ ’r f o ie /H îs t. a n . , lib. I I , c. X ï ; Pline, lib. V IH , ‘:c .TV ; Philostrate, V ita
A p o ll., lib. I l , c. rv, reconuoisseni les défenses po u r des dents. Juba, cité p a r P lin e , loc.
cit. et Pausaniàs, lib. V, c. X I I , ont pré te n d u y voir des cornes ; mais cette idée b iza rre
n ’àuroit pas mërité d ’ê tre soutenue p a r Ludolphe (Æ th io p .,- lib. I , cap. X ) , n i p a r Perrault
(Descr. de l’éléph. de Versailles).
" (2) J e n ’a i . p u comprendre ce que v eu t d ire M. Tilesius dans sa note su r le Mémoire