soit par le commerce et la tradition des peuplades supérieures,
de toutes les espèces remarquables qui vivent jusque vers les
sources.
Il n’a donc fallu à aucune époque un temps bien long pour.que
les nations civilisées qui ont fréquenté les côtes d’un grand pays en
connussent assez bien les animaux considérables, ou frappans par
leur configuration.
Les faits connus répondent à ce raisonnement. Quoique les anciens
n’aient point passé l’Imaüs et le Gange, en Asie, et qu’ils n’aient pas
été fort loin en Afrique, au midi de l’Atlas, ils ont réellement connu
tous les grands animaux de ces deux parties du monde; et, s’ils n’en
ont pas distingué toutes les espèces; ce n’est point parce qu’ils
n’avoient pu les voir, ou en entendre parler, mais parce que la ressemblance
de ces espèces n’avoit pas permis d’en reconnoître les ca-
ractères. La seule grande exception que l’on puisse m’opposer est le
tapir asiatique, récemment envoyé des Indes par deux jeunes naturalistes
de mes élèves, MM. Duvaucel et Diard, et qui forme en effet
l’une des plus belles découvertes dont l’histoire naturelle se soit enrichie
dans ces derniers temps.
Les anciens connoissoient très-bien l’éléphant, et l’histoire de.ce
quadrupède est plus exacte dans Aristote que dansBuffon.
Ils b 'ignoroient même pas une partie des différences qui distinguent
les éléphans d’Afrique de ceux d’Asie (i).-
Ils connoissoient les rhinocéros à deux cornes que l’Europe moderne
n’a point vus vivans. Domitien en montra à Rome, et en fit
graver sur ses médailles. Pausanias les décrit fort bien.
Le rhinocéros unicorne, tout éloignée qu’est sa patrie, leur étoit
également connu. Pompée en fit voir un à Rome. Strabon en décrivit
exactement un autre à Alexandrie (2).
(1) Voyez mon Chapitre des Éléphans.
(2) Voyez mon Chapitre des Rhinocéros.
Le rhinocéros de Sumatra décrit par M. Bell, et celui de Java
découvert et envoyé par MM. Duvaucel et Diard, ne paroissent point
habiter le continent. Ainsi il n’est point étonnant que les anciens les
ignorassent : d’ailleurs ils ne les auroient peut-être pas distingués.
L ’hippopotame n’a pas été si bien décrit que les espèces précédentes;
mais on en trouve des figures très-exactes sur les monumens
laissés par les Romains, et représentant des choses relatives à l’Egypte,
telles que la statue du Nil, la mosaïque de Palestrine, et un grand
nombre de médailles. En effet, les Romains en ont vu plusieurs fois ;
Scaurus, Auguste, Antonin, Commode, Héliogabale, Philippe et
Carin (1) leur en montrèrent.
Les deux espèces de chameaux, celle de Bactriane et celle d’Arabie,
sont déjà fort bien décrites et caractérisées par Aristote (2).
Elles sont représentées dans les anciens monumens de l’Egypte.
Les anciens ont connu la giraffe, ou chameau-léopard; on en a
même vu une vivante à Rome, dans le cirque, sous la dictature de
Jules-César, l’ an de Rome 708 ; il y en avoit eu dix de rassemblées
par Gordien III, qui furent tuées aux jeux séculaires de Philippe (3),
ce qui doit étonner nos modernes qui n’en ont vu qu’une seule dans
le quinzième siècle (4).
Si on lit avec attention les descriptions de l’hippopotame, données
p'ar Hérodote et par Aristote, et que l’on croit empruntées d’Hé-
catée de Milet, on trouvera qu’elles doivent avoir été composées
avec celles de deux animaux différens, dont l’un étoit peut-être le
véritable hippopotame, et dont l’autre étoit certainement le gnou
{Antilope gnu, Gmel. ), ce quadrupède dont nos naturalistes n’ont 1 2 3 4
(1) Voyez mon Chapitre de Y Hippopotame.
(2) Hist, anim., lib. I I , cap. I.
(3) Jul. Capitol., Gord. I ll , cap. XXIII.
(4) Celle que le Soudan d’Egypte envoya à Laurent de Médicis, et qui est peinte dans les
fresques de Poggio-Cajano.