XL1V DISCOURS
Les os fossiles
de quadrupèdes
sont difficiles à
déterminer.
gigantesques mégathériums dont on a trouvé les os sous la terre dans
les deux Amériques, vivent encore sur ce continent ? Comment au-
roient-ils échappé à ces peuplades errantes qui parcourent sans cesse
le pays dans tous les sens, et qui reconnoissent elles-mêmes qu’ils
n’y existent plus, puisqu’ elles ont imaginé une fable sur leur destruction
, disant qu’ils furent tués par le Grand Esprit, pour les empêcher
d’anéantir la race humaine. Mais on voit que cette fable a été
occasionnée par la découverte des os, comme celle des hâbitans de la
Sibérie sur leur mammouth, qu’ils prétendent vivre sous terre à la
manière des taupes ; et comme toutes celles des anciens sur les tombeaux
de géans qu’ils plaçoient partout où l’on trouvoit des os d’é-
léphans.
Ainsi l’on peut bien croire que si, comme nous le dirons tout à
l’heure, aucune des grandes espèces de quadrupèdes aujourd’hui
enfouies dans des couches pierreuses régulières, ne s’est trouvée
semblable aux espèces vivantes que l’on connoît,- ce n’est pas l’effet
d’un simple hasard, ni parce que précisément ces espèces dont on
•n’a que les os fossiles, sont cachées dans les déserts, et ont échappé
jusqu’ici à tous les voyageurs : l’on doit au contraire regarder ce
phénomène comme tenant à des causes générales, et son étude
comme l’une des plus propres à nous faire remonter à la nature de
ces causes.
Mais si cette étude est plus satisfaisante par ses résultats que celle
des autres restes d’animaux fossiles, elle est aussi hérissée de difficultés
beaucoup plus'nombreuses. Les coquilles fossiles se présentent
pour l’ordinaire dans leur entier, et avec tous les caractères qui
peuvent les faire reconnoître dans les collections ou dans les ouvrages
des naturalistes; les poissons même offrent leur squelette plus ou
moins entier; on y distingue presque toujours la forme générale de
leur corps, et le plus souvent leurs caractères génériques et spécifiques
qui se tirent de leurs parties solides. Dans les quadrupèdes au
PRÉLIMINAIRE. XLV
contraire, quand on rencontreroit le squelette entier, on auroit de
la peine à y appliquer des caractères tirés, pour la plupart, des poils ,
des couleurs et d’autres marques qui; s’évanouissent avant l’incrustation;
et même il est infiniment rare de trouver un squelette fossile
un peu complet; des os isolés, et jetés pêle-mêle, presque toujours
brisés et réduits à des fragmens, voilà tout ce que nos couches nous
fournissent dans cette classe, et la seule ressource du naturaliste.
Aussi peut-on dire que la plupart des observateurs, effrayés de ces
difficultés, ont passé légèrement sur les os fossiles de quadrupèdes;
les ont classés d’une manière vague, d’après des ressemblances superficielles,
ou n’ont pas même hasardé de leur donner un nom, en
sorte que cette partie de l’histoire des fossiles, la plus importante et
la plus instructive de toutes, est aussi de toutes la moins cultivée (1),
Heureusement l’anatomie comparée possédoit un principe qui, Principe de
bien développé, étoit capable de faire évanouir tous les embarras; cette détermina-
c’étoit celui de la corrélation des formes dans les êtres organisés, au t 0D"
moyen duquel chaque sorte d’être pourrait, à la rigueur, être reconnue
par chaque fragment de chacune de ses parties.
Tout être organisé forme un ensemble, un système unique et
clos , dont toutes les parties se correspondent mutuellement, et
concourent à la même action définitive par une réaction réciproque.
Aucune de ces parties ne peut changer sans que les autres changent
aussi; et par conséquent chacune d’elles, prise séparément, indique
et donne toutes les autres.
Ainsi, comme-je l’ai dit ailleurs, si les intestins d’un animal sont
organisés de manière à ne digérer que de la chair et de la chair récente,
il faut aussi que ses mâchoires soient construites pour dévorer
(i) Je ne prétends point par cette remarque , ainsi que jé l’ ai déjà ditpîus bàût, diminuer
le mente des observations de MM. Camper, Pallas , Blumenbacb, Soemmering , Mark,
Faujas , Rosenmiiller, Home, etc. ; mais leurs travaux estimables, qui m’ont été fort utiles
et que je cite partout, ne sont que partiels.