Nous empruntons le nom de mastodonte de deux mots grecs qui
signifient dents mamelonnées, et qui expriment par conséquent
le principal caractère de ce genre (x).
Au reste, ce n’ est que par une longue suite de travaux, de réflexions
et de comparaisons qu’il a été possible d’arriver aux con-
noissances plus exactes que nous rassemblons aujourd hui sur son
sujet. Il y a près de cent années qu’on s’en occupe.
La première mention qu’on en trouve date de 1712. Le docteur
M ather, dans une lettre au docteur TVoodwardt ( Transact. p h il. ,
t. X X IX , p. 62), annonce des os et des dents d’un volume monstrueux,
découverts en 17 o5 à A lba n y , dans la N ouvelle-Angleterre,
aujourd’hui dansl’État deN ew -Y orck , près de la rivière d’Hudson.
Il les croyoit des os de géant, et propres à confirmer ce que dit la
Genèse d’anciennes races d’hommes gigantesques. Il paroît néanmoins
que cette annonce ne fit pas grand effet, et que l’on oublia
encore ces os pendant près de trente ans..
En 1739, un officier françois nommé Longu eil, naviguant dans
Y Ohio pour se rendre sur le M ississipi, quelques sauvages de sa
troupe trouvèrent, à peu de distance de ce fleuve, sur le bord d’un
marais, des os, des màchelières et des défenses. Cet officier rapporta,
l’année d’après, un fémur, une extrémité de défense et trois mâ-
chelières , à Paris, où nous les conservons encore. Ce sont les
premiers morceaux de cet animal qu’on ait vus en Europe, et c’est
d’après le lieu où ils ont été trouvés qu’ùn lui a donné généralement
les noms d’anim al, d’éléphant et de mammouth de Y O h io , quoiqu’il
y ait de ses os dans bien d’autres endroits, comme nous l’allons
voir.
Le fémur et la défense furent déclarés par Daubenton appartenir '
à Y éléphant, et les màchelières, toutes les trois intermédiaires et à six
pointes, à Y hippopotame. « Car on ne p eu t guère soupçonner (ajou-
» toit-il ) que ces dents aient été tirées de la même tête avec la
» défense, ou q u e lle s aient fa it partie d’un même squelette
p) Mxrris (mamilla) et é t é (dens).
» avec le fém ur dont i l s ’agit ic i ; en le supposant, ilfa u d r o it
3) aussi supposer un animal inconnu qui auroit des défenses sem-
)) blables à celles de l ’éléphant, et des dents molaires semblables
» à celles de l ’hippopotame (1). » Il avoit détaillé encore davantage
les raisons qu’il croyoit avoir de ne point admettre un tel animal
dans son Mémoire lu à l’Académie le 28 août 176a.
Cependant l’opinion contraire existoit déjà chez plusieurs personnes.
. Un autre officier françois nommé F a b ri avoit annoncé à Buffon,
dès 1748, que les sauvages regardoient ces ossemens épars en divers
endroits du Canada et de la Louisiane, comme provenant d’un animal
particulier qu’ils nommoient le père aux boeufs (2).
Les grosses dents à huit et dix pointes-, qu’on ne pouvoit raisonnablement
confondre avec celles de I’hippopotame, étoient déjà
connues. Guettard, dans les Mémoires de l’Académie pour 1752 ,
en avoit fait graver une, trouvée avec d’autres os dans un marais
qui occupoit le fond d’un cul-de-sac, entre deux montagnes , et
sans doute l’une de celles qu’avoient rapportées Longueil et ses
compagnons. C’est la première figure appartenant à cette espèce qui
ait été publiée. •
Les Anglois, maîtres reconnus du Canada par la paix de 1763 ,
ne tardèrent point à donner à ces recherches une nouvelle activité.
Le géographe Georges Croghan trouva en 1765 beaucoup de ces
os à quatre milles au sud-est des bords de Y Ohio, dans le pays aujourd’hui
nommé Kentuckey, sur un banc élevé, toujours le long
d’un grand marais salé, et probablement le même qu’avoient visité
les compagnons de Longueil; les dents à tubercules et les défenses
y étoient pêle-mêle, sans aucune màchelière d’éléphant : l’idée d’un
animal particulier se confirmoit donc de plus en plus.
Ce M. Croghan envoya en 1767 plusieurs caisses de ces'morceaux
à Londres, soit a lord Shelbum e, soit à F ra n k lin , soit à d’autres,- 1 2
(1) Hist. n at., XI ; Descr. du cab. du roi, M X X X V .
(2) Buff., Epoques de la n a t ., note just.g.
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