que Deucalion étoit regardé comme l’auteur de la nation des Hellènes,
et que l’on confondoit son histoire avec celle dé tous les
chefs des nations renouvelées (i).
C’est que chaque peuplade de Grèce qui avoit conservé des traditions
isolées, les commençoit par son déluge particulier, parce que
chacune d’elle avoit conservé quelque souvenir du déluge universel
qui étoit commun à tous les peuples ; et lorsque dans la suite on
voulut assujétir ces diverses traditions à une chronologie commune, *Il
(i) Homère ni Hésiode n’ont rien su du déluge de Deucalion, non plus que de celui
à’Ogygès.
Le premier auteur subsistant où l’on trouve la mention du premier est Pindare ( Od.
Olymp. IX ) . Il fait aborder Deucalion sur le Parnasse , s’établir dans la ville de Protogénie
(première naissance), et y reformer son peuple avec des pierres; en un mot, il rapporte déjà,
mais en l’appliquant à une nation seulement, la' fable généralisée depuis par Ovide à tout
le genre humain.
Les premiers historiens , postérieurs à Pindare (Hérodote, Thucydide et Xénophon), ne
font mention - d’aucun déluge, ni du temps d’Ogygès, ni. du temps de Deucalion, bien
qu’ils parlent de celui-ci comme de l’un, des premiers rois des Hellènes. ■ •
Platon, dans le Timée, ne dit que quelques mots du déluge, ainsi que de Deucalion et
deP jr rh a , pour commencer le récit de la grande catastrophe q u i, selon les prêtres de Sais ,
détruisit l’Atlantide; mais dans ce peu de mots il parle du déluge au singulier , comme si
c’ étoit le seul: il dit même exprèssément plus loin que les (Grecs n’en connoissoient qu’un.
Il place le nom de Deucalion immédiatement après celui de Phoronée', le premier des
hommes , sans faire mention d’ Ogy gès ; ainsi pour lui c’est encore un événement général,
un vrai déluge universel, et le seul qui soit arrivé. II le regardoit donc comme identique
avec celui d’ Ogygès.
Aristote (Meleor., I , 14) semble le premier n’avoir considéré ce déluge que comme
une inondation locale, qu’il place près de Dodone et du fleuve AehéloiiS ; mais près de
Y Achéloüs et de la Dodone de Thessalie.
Dans Apollodore ( B ib l., I , § 7) le déluge de Deucalion reprend toute sa grandeur.et son
caractère mythologique. Il arrive à l’époque du passage de l’âge d*airain à l’âge de fer.
Deucalion est le fils du titan Prométhée, du fabricateur de l’homme ; il crée de nouveau le
genre humain avec des pierres , et cependant A tla s , son oncle, Phoronée, qui vivoit avant
lu i , et plusieurs autres personnages antérieurs conservent de longues postérités.
A mesure que l’on avance vers des auteurs plus récens, il s’y ajoute des circonstances de
détail qui ressemblent davantage à celles que rapporte Moïse.
Ainsi Apollodore donne à Deucalion un coflre pour moyen de salut; Plutarque parle
des colombes par lesquelles il cherchoit à savoir si les eaux s’étoient retirées , et Lucien des
animaux de toute espèce qu’il avoit embarqués avec l u i e t c .
on crut voir des événemens différens, parce que des dates, toutes
incertaines, peut-être toutes fausses, mais regardées chacune dans
son pays comme authentiques, ne se rapportoient pas entre elles.
Ainsi de la même manière que les Hellènes avoient un déluge de
Deucalion, parce qu’ils regardoient Deucalion comme leur premier
auteur; les Autochtones de l’Attique en avoient un d’Ogygès, parce
que c’étoit par Ogygès qu’ils commençoient leur histoire. Les
Pélages d’A rcadie avoient celui qui, selon des auteurs postérieurs,
contraignit Dardanus à se rendre vers l’Hellespont (i). L ’ile de
Samothrace, l’une de celles où il s’étoit le plus anciennement formé
une succession de prêtres, un culte régulier et des traditions suivies,
avoit aussi un déluge qui passoit pour le plus ancien de tous (a).,
et que l’on y attribuoit à la rupture du Bosphore de XHellespont.
On gardoit quelque idée d’un événement semblable en Asie mineure
(3) et en Syrie (4) , et par la suite les Grecs y attachèrent le
nom de Deucalion.
Mais aucune de ces traditions ne plaçoit très-haut ce cataclysme,
aucune d’elles ne refuse à s’expliquer, quant à sa date et à ses autres
circonstances, par les variations que subissent toujours les récits qui
ne sont point fixés par l’écriture.
Les hommes qui veulent attribuer aux continens et à l’établissement
des nations Une antiquité très-reculée sont donc obligés de
s’adresser aux Indiens, aux Chaldéens et aux Egyptiens, trois peuples
en effet probablement le plus anciennement civilisés de la race
caucasique, trois peuples extraordinairement semblables entre eux,
par le tempérament , par le climat et par la nature du sol qu’ils habi-
(1) Deny s d’Halicarnasse, Antiq. rom. , lib. I , cap. LXI.
(2) ' Diodore deSicite, liî>. Y , cap. X L Y lî.
(3) Etienne de Byzance] voce Icôriium. Zenodote prov. cent., Y I , n°. 10 ; et Suidas
Voce Nannacus. Arnobe, Contra Gent., lib. Y , p. m. i58, parle même d’un rocher de
Phrygie d’où l ’on'pré tendoit que Deùcalioii et Pyrrha avoient pris leurs pierres.
(4) Lucian., de Dea Syra.
L ’antiquité,
excessive attribuée
à certains
peuples n’a rien
d’historique.